Alors que la loi Autonomie est attendue par l’ensemble du secteur sanitaire, social et médico-social, deux raisons empêcheront certainement son vote avant la fin du quinquennat. La première est le manque d’argent : le ticket d’entrée est connu depuis longtemps, il est à 3 milliards et l’optimum à 10 sans compter l’éventualité d’un RSA jeunes, soit 5 milliards d’euros supplémentaires. La seconde est l’absence de disponibilité de créneau parlementaire en cette fin de quinquennat.
Erick Lajarge est chargé d’enseignement à Paris – Dauphine et à l’université Léonard de Vinci.
Malgré l’urgence d’agir avec cette loi et puisque nous avons du temps devant nous, puisque nulle précipitation n’est requise, prenons le temps de la réflexion sur 5 sujets dont nous espérons qu’ils seront confortés par les décisions à venir.
Nb : l’auteur remercie « la Fabrique de la santé » de la pluralité des avis dont elle accepte la publication, permettant ainsi des débats dont le seul but est d’améliorer l’offre sanitaire et sociale.
1er sujet : transformer le paysage institutionnel national en supprimant la CNSA – « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » – Albert Camus
La Caisse nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) a été créée pour répondre à une double commande politique : donner l’illusion d’une caisse autonome pour les personnes handicapées et les personnes âgées et y affecter des ressources considérées, dès lors, comme sanctuarisées.
La CNSA est aujourd’hui cantonnée dans un rôle de passe plat financier. Elle attribue une somme fixe (un pourcentage de taxe fixé par le Parlement), selon des règles fixes définies par la loi APA de 2001 et peu modifiées depuis. C’est une logique de tuyaux que les mesures d’accompagnement et de structuration du secteur que la CNSA tente de mettre en place (avec peu de succès compte tenu des difficultés du secteur de l’aide à domicile par exemple) masquent peu. La création de la CNSA, souhaitée par les professionnels du secteur, n’a donc été qu’une réponse technique et pour tout dire, dogmatique, aux sujets posés par la dépendance et le handicap.
Le péché originel aura donc été de créer, pour faire plaisir au secteur, une caisse spécifique alors que la Caisse qui aurait dû être sollicitée était la caisse nationale d’allocations familiales (CNAF).
La CNAF est la caisse qui exprime le mieux les enjeux sociétaux de solidarité et d’intergénérationnel. Elle dispose d’un réseau et est forte de 35.000 agents quand la CNSA en compte 300 qui font pour partie redondance avec ceux de la DGCS sur les mêmes sujets.
Il faut donc supprimer la CNSA et confier l’ensemble de ses prérogatives à la CNAF.
Cette proposition permettrait d’avoir un vrai réseau local pour les sujets Autonomie en général, avec un binôme affirmé CAF/Conseil départemental et donc d’être en lien direct et de proximité avec les collectivités territoriales.
Au-delà et s’agissant des crédits de la CNSA et pour tous ceux qui pourraient être tentés de répondre que la création de la CNSA a permis leur « sanctuarisation », je conseille la lecture des arrêtés de transfert de crédits non consommés chaque année de la CNSA vers la CNAM….
2e sujet : donner plus de pouvoir aux collectivités territoriales- « C’est à l’administration de se rapprocher des hommes et des choses » – Mirabeau
Le Premier ministre vient d’annoncer que serait transmis au Parlement avant l’été le projet de loi dit « 4D », qui fait suite aux engagements du président de la République d’accentuer la décentralisation et la déconcentration et de promouvoir la différenciation territoriale et la complexification des relations entre l’Etat, les Collectivités et les usagers. Il prévoit quelques avancées en matière d’accroissement des transferts de compétences aux collectivités pour le secteur sanitaire et social, en particulier en renforçant leur présence dans la gouvernance des Agences Régionales de Santé par exemple. Dans un précédent article, j’avais proposé que le financement des murs, de la construction, des bâtiments hospitaliers relève d’une compétence des collectivités territoriales. Il est en effet curieux de vouloir que la Sécurité sociale finance des murs quand elle devrait financer des soins et que les collectivités soient appelées à financer des soins quand leur rôle est de financer des aménagements. Revoyons donc cette répartition des rôles, transférons la gestion des établissements sociaux et médico-sociaux aux conseils départementaux et réfléchissons au niveau national à définir ce qu’est une personne malade. On le voit, la création des EHPAD, le développement de l’Hospitalisation à domicile en EHPAD, leur hyper médicalisation, ont brouillé les cartes entre ce qui relève du soin et ce qui relève de la dépendance ou de l’hébergement. Créant de fait un défaut identitaire pour les soignants, un mal être que les euros attribués par le Ségur de la santé ne viendra pas soigner, car le mal est plus profond que cela et on le comprend.
Car le constat est que l’on fait prendre en charge par les collectivités ou les résidents des actions qui relèvent in fine de l’assurance maladie ou de la CNSA.
Donc disons ce qu’est une personne malade et nécessitant des soins constants et admettons que cette personne relève d’une structure hospitalière et confions l’hébergement des autres aux conseils départementaux de manière globale.
3e sujet : refondons totalement les schémas sociaux – « Quand les schémas sont brisés, de nouveaux mondes peuvent émerger » – Tuli Kupferberg
Il existe deux approches pour traiter de l’action sociale locale. Une approche par public (dite people based) et une approche par territoires (spatially based). Alors que nous avons privilégié, à tort, durant toutes ces dernières années une approche par public (réseaux, filières…), le gouvernement engage depuis quelque années une approche par territoires. Cette approche est bienvenue. En effet, l’ensemble des publics visés par le code de l’action sociale et des familles nécessitent les mêmes approches car ils éprouvent les mêmes besoins sur de nombreux sujets tels que la santé, la mobilité, le logement, le lien social et la culture. Il faut donc les traiter de manière commune et ce à l’échelon de territoires sociaux et intercommunaux.
La proposition est donc d’écrire tous les 5 ans un schéma général d’action sociale regroupant les réponses à ces mêmes besoins communs à tous les publics (cette action a été réalisée en Ardèche dès 2008). Ecrivons-le sur des bases territoriales en lien avec les CCAS/CIAS et les intercommunalités en réunissant pour avis, par exemple, la commission départementale de coopération intercommunale.
Au-delà, ces schémas doivent être écrits en y associant d’autres métiers que ceux qui participent habituellement à leur rédaction. Il faut ouvrir la rédaction de ces schémas à des spécialistes du logement, de la mobilité, de l’environnement, à des géographes, des sociologues et sortir de l’entre soi administratif ou social.
4e sujet : s’appuyer sur les documents d’urbanisme pour construire une politique sociale de territoire – « C’est le territoire, à des échelles variées, qui va constituer le référentiel pertinent pour concevoir et explorer de nouvelles solutions » – Pierre Veltz
Le sujet de l’urbanisme et de ses impacts sur la santé prend de plus en plus d’importance. Le plan « santé environnement » du gouvernement en est l’illustration. De même, le fait que des organismes importants comme le Haut Conseil en Santé Publique (HCSP) en 2018 ou la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU) soient saisis de ce sujet montre l’ampleur qu’il prend.
La rénovation récente des schémas de cohérence territoriale aussi bien que les orientations régionales en matière d’aménagement ou les opérations de revitalisation des territoires (ORT) posées par la loi ELAN (2018) permettent aujourd’hui d’inscrire dans les outils de planification et d’urbanisme des orientations structurantes pour le secteur social et médicosocial. Il faut se saisir de ces opportunités. Il en est de même pour ce qui concerne les mobilités. En effet, l’affirmation du principe législatif de mobilité solidaire laisse libre champ aux autorités organisatrices de mobilités d’être innovantes et créatives en matière de déploiement d’offre de mobilité pour les publics en situation de handicap ou en perte d’autonomie.
Concernant justement ces enjeux de mobilité la demande est passée, en zone urbaine, d’une offre collective (train, métro, tram) à une offre plus individuelle (mobilités douces, vélo, marche…). Elle rejoint en cela l’attente exprimée en zone moins dense ou l’offre collective est de surcroit, pauvre. Or, sans possibilité de mobilité….
Aussi, il convient de proposer en zone urbaine, où une offre privée et lucrative peut se développer, des offres intégrées de transports dont le prix variera avec les revenus allant jusqu’à la gratuité pour les plus pauvres d’entre nous. En territoire rural où l’offre privée, faute de revenus suffisants, n’existe pas, il convient de réfléchir localement Etat/ Collectivités à la création d’un service public de la mobilité intégrant toutes les dimensions (véhicules autonomes, auto partage, transports collectives, taxi, vélo…). Sur ce point l’ouvrage de René Souchon, ancien président du conseil régional d’Auvergne est assez précurseur (Ruralité : quel avenir – L’Aube Editions – 2017). Il en est de même du rapport du Sénateur Olivier Jacquin –Février 2021.
Les programmes nationaux d’aménagement et de soutien aux territoires portés par l’Agence Nationale de la Cohésion des territoires doivent aussi être l’occasion de se saisir de cette dimension sociale. Le programme Action cœur de ville ou Petites villes de demain pourraient ainsi comporter une dimension sociale plus affirmée, tournée vers les publics de l’action sociale et médico-sociale. C’est déjà un peu le cas avec la recherche du maintien de commerces de proximité ou les aides dites « Denormandie dans l’ancien » mais ce sujet doit être encore mieux appréhendé et intégré au début de la réflexion d’un projet local.
Enfin, toute réflexion d’aménagement (d’espaces, d’EHPAD, d’ESMS…) doit intégrer les sujets de résilience et de transition écologique. Qui peut croire que nos ainés en EHPAD rêvaient en 2003 au moment de la canicule à une réponse des pouvoirs publics basée sur des pièces climatisées collectives plutôt que des aménagements résilients avec bancs, arbres et îlots de fraicheur urbains dans leur environnement proche ?
5e axe : Mieux appréhender les évolutions technologiques et la donnée – « Les données atteignent une valeur inestimable, encore faut-il pouvoir les analyser et même être conscient de leur existence. L’exploitation et l’interprétation de ces données deviennent aujourd’hui des enjeux majeurs, elles sous-tendent la prise de décisions des dirigeants et deviennent sources de création de valeur » – Katia Carow et Arnaud Thibésart (PWC)
Ecrire aujourd’hui une perspective pour le secteur social et médico-social et particulièrement pour les personnes âgées, c’est intégrer les enjeux inhérents aux évolutions technologiques. Dès la fin des années 90, le Professeur Franco, du CHU de Nice, traitait ces sujets avec une certaine audience et son concept de gérontechnologies semblait prospérer. Depuis, le comité de filière de la silver économie et l’association Silver éco ont bien du mal à se faire entendre sur des sujets pourtant si importants.
L’homme augmenté (voir le sujet des exosquelettes et l’achat par l’AP-HP d’un exosquelette permettant à une personne âgée de marcher), l’intelligence artificielle et la robotique au service de l’humain mais aussi, à l’extérieur de nos habitats, le véhicule autonome, la smart city ou la livraison par drone par exemple, doivent nous amener à penser nos politiques sociales à l’aune de tous ces changements qui ne relèvent pas de la prospective un peu obscure mais bien de notre futur proche.
Il en est de même de la maitrise de la donnée. L’Europe, et la loi Lemaire de 2016 à la suite, oblige la mise à disposition des données publiques ainsi que leurs codes sources. Si la France est plutôt bonne élève en la matière (3e rang européen), le chemin est encore long. Le rapport du député Eric Bothorel (décembre 2020) commandé par le Premier ministre nous donne de très sérieuses pistes d’évolution dans nos pratiques. Pour le champ social, le député regrette le manque de prise en main de ce dossier par la CNSA. En effet, l’action sociale territoriale doit se fonder sur des faits objectivables (déplacements, besoins, santé) auxquels la maitrise de la donnée doit contribuer. Connaitre les besoins des personnes éligibles aux dispositifs médico-sociaux, c’est déjà avoir plus de chance de bien y répondre.
Au-delà, le député appelle à une harmonisation nationale des systèmes locaux de recueil et de fournitures de données. L’action sociale étant territorialisée, il doit exister un hub capable d’agréger ces données locales au niveau national. Si ce hub n’est pas le health data hub, alors créons un social data hub !
Enfin, et pour finir, l’intelligence artificielle et l’avènement des systèmes prédictifs doivent eux aussi être mieux appréhendés par un secteur que ces mots effraient peut-être. Pouvoir disposer de modèles prédictifs et les dupliquer au niveau local est assurément le meilleur moyen de répondre au mieux aux besoins de demain.