« Mettre fin à la distinction obsolète entre les professions médicales et les auxiliaires » | Pascale Mathieu

On distingue dans les professions de santé, les professions médicales et les auxiliaires médicaux. Les premiers sont définis par des missions, les seconds par les actes qu’ils sont autorisés à effectuer par dérogation au monopole médical. Cette distinction dépassée n’est plus adaptée à l’évolution de notre système de santé et ne correspond plus aux besoins des patients.

Pascale Mathieu est kinésithérapeute en Gironde et Présidente du conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

 

Lorsque l’on parle de l’évolution souhaitable et nécessaire du système de santé, on emploie les mots d’interprofessionnalité, d’interdisciplinarité et d’exercices coordonnés.

On ne cesse de proclamer que l’on veut mettre le patient au cœur du dispositif, que l’on veut simplifier son parcours. Mais notre organisation s’appuie sur de telles normes juridiques qu’il est très difficile de la modifier en profondeur pour la rendre plus adaptable rapidement et les coopérations entre les professionnels de santé nécessitent toujours plus de textes, décourageant souvent les uns et les autres, devant la complexité des dossiers administratifs qu’il est nécessaire de constituer. Nous en sommes arrivés à devoir engager des professionnels de l’étude de faisabilité et de l’aide au montage de dossier pour arriver à travailler ensemble.

Si l’on ajoute ensuite la crispation de toutes les professions de santé dès lors que l’on veut faire évoluer les compétences et les périmètres des uns et des autres dans un souci d’efficience, on conçoit l’ampleur de la tâche de celui qui tentera de simplifier tout cela.

Actuellement la porte d’entrée dans le système de santé en France est le médecin.

Il dispose d’un monopole sur les actes de soins que lui seul peut effectuer. Le but est louable puisqu’il s’agit de protéger le patient qui se voit assurer une prise en charge par un professionnel disposant d’un diplôme (ainsi sa compétence a été vérifiée) et soumis à certains contrôles (respect de la déontologie notamment).

Tout acte médical effectué par un non-médecin est donc illégal.

Il existe néanmoins des dérogations à ce monopole qui permettent à d’autres professionnels d’effectuer légalement des actes médicaux. Ces professionnels de santé doivent aussi être détenteurs d’un diplôme, garant de la protection des patients.

Notre organisation distingue ainsi les professions médicales et les auxiliaires médicaux.

Ce qui caractérise la différence entre une profession médicale et un auxiliaire médical (également appelé paramédical) est que les premiers sont définis par des missions et les autres par les actes qu’ils sont habilités à effectuer et dont la liste est limitative. Il apparaît que l’on a distribué à d’autres professionnels des actes médicaux relatifs à certains champs d’intervention : les soins bucco dentaires, les soins relatifs à la maternité, (dentistes et sages-femmes étant des professions dites médicales) les soins infirmiers, les soins de la rééducation…

Sans entrer dans le détail des normes juridiques, à l’évidence aujourd’hui cette organisation est un frein à une prise en charge optimale pour le patient, et il nous semble qu’un autre raisonnement pourrait être tenu. Nous allons le développer ici.

Conscients de la limitation qu’entraîne ce périmètre contraint, certains professionnels ont souhaité une évolution de la définition de leur profession.

Si l’on prend l’exemple des kinésithérapeutes, la définition en vigueur jusqu’à la loi Touraine du 26 janvier 2016 disait ceci : « La profession de masseur-kinésithérapeute consiste à pratiquer habituellement le massage et la gymnastique médicale. » On voit ici que c’étaient deux types d’actes qui définissaient la profession de kinésithérapeute, actes détaillés ensuite dans un décret.

Depuis cette loi et sur proposition des masseurs-kinésithérapeutes, cette profession est aussi définie pas des missions de santé publique. On peut s’interroger sur l’importance de cette évolution. Si l’on se réfère à la possibilité que cela offre en matière de santé publique, on pourrait modifier l’organisation actuelle qui encadre l’exercice par la réalisation d’une liste d’actes limités, difficile à modifier, et prévoir que le kinésithérapeute peut utiliser tous les actes nécessaires pour remplir ses missions à l’exclusion de certains, bien évidemment. C’est d’ailleurs comme cela qu’est organisée la profession de sage-femme ou celle de chirurgien-dentiste.

Il n’y aurait alors plus une liste limitative d’actes, mais des missions, et l’utilisation d’actes et techniques pour les mener à bien.

Cela permet plus de souplesse lorsque justement les techniques évoluent, il n’y a pas l’obligation de rédiger un décret examiné par le conseil d’État et par l’Académie nationale de médecine, passage obligé actuellement.

Pour la plupart des auxiliaires médicaux, et notamment pour les infirmiers et les kinésithérapeutes, à côté d’actes autonomes dans le cadre de la prévention, de l’éducation thérapeutique, de l’enseignement ou de l’encadrement, les actes réalisés doivent l’être sur prescription d’un médecin et pour certains d’entre eux sous sa surveillance. Il s’agit ici d’un encadrement des interventions sur les patients afin de garantir leur meilleure prise en charge. D’un point de vue organisationnel, hors établissements de santé, cela est inopérant, l’intervention du médecin étant impossible la plupart du temps pour des raisons géographiques ou de disponibilité.

S’il est évident que dans certains cas la prescription est nécessaire pour éviter de faire courir certains risques au patient (par exemple la posologie d’un traitement médicamenteux) certaines de ces prescriptions ne constituent qu’un bon à remboursement.

Il semble bien plus pertinent aujourd’hui, – dans un contexte de formation approfondie de nombreux professionnels de santé -, de définir les professions par les missions générales qu’elles peuvent exercer et de leur conférer les responsabilités nécessaires pour les mener à bien. Ces professionnels détermineraient alors les soins qu’ils jugent nécessaire de pratiquer, dans le champ des compétences qui leur serait octroyé. Ce n’est donc pas la liste des actes qui serait limitée, mais leur domaine d’intervention.

Si l’on se place du point de vue du patient, en prenant l’exemple de certaines pathologies chroniques dont on sait qu’elles ne guériront pas, la question de certains soins infirmiers ou de la prise en charge par le kinésithérapeute ou l’orthophoniste ne se pose pas. C’est une nécessité validée scientifiquement et nul ne la conteste. Confronté à une pathologie lourde, à une modification de son mode de vie qui peut s’apparenter à un cataclysme, le patient a besoin d’être accompagné dans un parcours le plus fluide possible, lui assurant néanmoins des soins de qualité.

À titre d’exemple, une fois que le diagnostic médical d’accident vasculaire cérébral a été posé, que le patient a été pris en charge par un établissements de santé et qu’il est de retour à domicile, il se peut qu’il ait besoin de soins infirmiers, de kinésithérapie et d’orthophonie. S’il est évident que la posologie des traitements médicamenteux va nécessiter la prescription du médecin à ce stade, on peut se poser la question de l’utilité de la prescription d’aide aux soins d‘hygiène, de kinésithérapie et d’orthophonie.
Ces derniers professionnels pourraient avoir le libre choix des actes et des techniques. Le bilan qu’ils effectuent orienterait leur traitement. Leur formation leur permettrait d’adapter lors de la prise en charge la durée des séances mais aussi leur fréquence et leur contenu et ce à chaque séance en fonction des possibilités du patient qui ne sont pas les mêmes d’un jour à l’autre.

Trop souvent la prescription du médecin  obligatoire à ce jour, limitée dans le temps, arrive à son terme avant la fin des soins nécessaires. Pour autant la nécessité de soins de kinésithérapie ou d’orthophonie ne s’arrête pas parce que l’ordonnance médicale est périmée. Il est alors nécessaire que le patient revoie le médecin et lui demande une nouvelle ordonnance qui ne sera là qu’un document administratif permettant au professionnel auxiliaire d’être rémunéré pour ses actes, puisqu’il s’agit ici d’une affection de longue durée pour laquelle le patient n’avance pas les frais.

Confronté à une maladie souvent invalidante, parfois dépendant d’autrui, le patient ne pense pas toujours à demander à son médecin une prescription à jour. C’est alors la course à l’ordonnance, parfois dans un contexte de désert médical avec des praticiens débordés croulant sous les charges administratives pour récupérer le sésame qui permettra la poursuite des soins (qui n’ont bien sûr pas été interrompus puisque nécessaires, et ce en toute illégalité).

L’exemple ici de l’accident vasculaire cérébral pourrait se décliner pour la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, la paralysie cérébrale, les cancers. Il s’agirait par cette proposition de permettre une simplification administrative profitable à tous.

Il s’agirait également de considérer qu’il y a des praticiens correctement formés, autonomes et responsables, détenteurs en outre d’un droit de prescription, certes limité et qui doit s’élargir aussi, capables de prendre en charge des patients dans le cadre de leurs missions et de leurs compétences.

Il ne s’agit pas de couper le lien entre le médecin et ce que l’on appelle encore les auxiliaires médicaux.

Il s’agirait plutôt de considérer que chacun a un rôle essentiel autour du patient pour lui donner les soins les plus appropriés possibles, en fonction de son état de santé et de l’évolution de sa pathologie.

L’autonomie, la responsabilité et la compétence ne dispensent pas d’un contrôle nécessaire et d’une traçabilité indispensable. Ainsi il conviendrait que chaque professionnel qui prendrait en charge un patient alimente le dossier de ce même patient avec ses bilans et ses comptes-rendus de séance rendant compte de l’évolution et de sa prise en charge.

La certification des professionnels serait également un garant de la qualité des soins.

Le professionnel de santé devrait dans ce cas systématiquement renvoyer le patient vers le médecin, dès lors que ce professionnel considérerait qu’il atteint la limite de sa qualification. Les codes de déontologie le prévoient d’ailleurs explicitement et les sanctions aux manquements existent déjà.

Ainsi, pour fluidifier les parcours, simplifier la prise en charge des patients, sans en compromettre la qualité, dans un contexte de formations initiales actualisées, il faudrait supprimer la notion même de professions médicales et d’auxiliaires, au profit de professionnels de santé qui se verraient conférer des missions propres à chacun, un droit de prescription adapté à ces missions et des devoirs à la hauteur de ces responsabilités.

7 réponses sur “« Mettre fin à la distinction obsolète entre les professions médicales et les auxiliaires » | Pascale Mathieu”

  1. C’est clair et dans cette nécessaire évolution du code de la santé publique les professionnels de santé resteront bridés dans leurs missions au service des patients par le mille feuilles administratif.

    1. Bravo d’expliquer clairement ce que beaucoup pensent depuis longtemps.
      C’est l’évolution logique de professions dites “à coté du médical”, alors qu’elles exercent complétement “dans le médical”.

  2. La création de la nouvelle branche sur la dépendance des personnes âgées est l’occasion de relancer ce débat . Le remplacement progressif des paiements a l’acte par des forfaits de prise en charge semble être une orientation privilégiée pour l’avenir ; notre profession doit rentrer dans les discussions sur ce sujet et prouver ainsi le bien-fondé de sa demande d’autonomie

  3. Tout à fait d’accord avec Pascale.
    Néanmoins pour arriver au statut des chirurgiens dentistes et des sages femmes, nous devrions cesser de mettre en avant des spécificités d’exercice que d’autres viennent nous spolier, et affirmer haut et fort que la kinésithérapie est une SPÉCIALITÉ MÉDICALE en elle même, à compétences définies.

  4. Il faut effectivement que les professionnels de santé soient reconnus à la hauteur de leur formation, sans notion de “hiérarchie” devenue complètement obsolète.
    Seule la qualité de l’exercice permet à chacun d’être totalement responsable et donc accessible directement par le patient.
    Il faut en finir avec cette organisation administrative d’un autre temps qui a montré les limites de ses possibilités dans cette crise sanitaire: des professionnels mis de côté, des patients qui n’ont pas été pris en charge, la santé qui s’est fortement dégradée pour un certain nombre… au mépris de l’égalité indispensable à l’accès au soins.
    Enfin, il ne faut pas inverser le processus. Ce n’est pas la revalorisation financière qui permettra une amélioration notable du système de soins, mais bien l’inverse. Renversons le paradigme et la rémunération pourra suivre.
    Merci Pascale pour ton investissement sans limite pour la profession et la qualité souhaitée de la santé publique.

  5. 16 juin 2020 Distinctions dans les professions médicales.

    Tous les soignants ont avec le patient un rapport singulier que beaucoup caractérisent du concept de transfert . Qu’ils soient médecin, kinésithérapeute, infirmier , orthophoniste, chirurgiens dentistes, orthodontistes, les techniques qu’ils maîtrisent dans leur spécialité , performent , pour une part sur l’habileté et l’expérience professionnelle du soignant , et pour une autre part sur la qualité du transfert qui s’est établi . Il est des spécialités qui nécessitent absolument une compétence dans l’abord global de la personne, dans ses composantes somatique , psychique et environnementale . Ainsi et de façon indispensable pour les médecin généralistes , mais aussi effectivement les kinésithérapeutes . Ces derniers mettent au service du patient des techniques et savoir-faire en lien direct avec leur corps . Le toucher est leur médiation préférentielle , ils ne peuvent ,quelque soit la symptomatologie pour laquelle ils sont requis, négliger une prise en charge globale du corps physique de la personne , et par la même toutes les composantes psychique et environnementales du patient.
    Ce raisonnement peut aussi s’appliquer pour les infirmiers, les orthophonistes , mais aussi les psychiatres et autres, pour peu que leur fonction tellement parcellisée ne fasse pas barrage à cet abord global .C’est le cas , souvent dans les institutions hospitalières , pour les kinésithérapeutes exclusivement dédiés aux rééducations urologique ou gynécologique, les infirmières qui ne font que des tests très protocolisés psychiatriques, gériatriques .
    Cet aspect de la fonction des professionnels para médicaux n’est pas valorisée, pas plus que celle des médecins , car leur rémunération est arrimée à une nomenclature d’actes. Il n’existe pas d’acte pour honorer le coté transfériel du travail de chacun.
    Cette reconnaissance, est en effet possible par la création pour chaque paramédical d’une autonomie de prescription ou de renouvellement telle que déjà instituée pour les infirmiers. Mais elle peut aussi trouver , en partie , une valorisation au forfait par patient . C’est ce qui avait été réalisé avec la convention de 1997 , pour les médecins généralistes avec le forfait « médecin référent ». Cette dernière constitua un levier puissant pour que les professionnels médicaux soignent la qualité de leur prise en charge dans le sens que j’ai souligné. A l’époque la profession, très divisée sous l’influence des politiques et des lobbys des spécialités d’organe n’avait pas cru bon de s’y investir . Actuellement le déficit de reconnaissance des professions dites intellectuelles reste patent en comparaison de celles à forte composante technique. Il en est de même dans chaque métier pour sa composante transférielle. Or c’est par cette dernière qu’est audible la parole singulière de chaque patient , et donc sa reconnaissance de sujet. C’est par elle et avec la médiation de ces professionnels , que cette parole peut atteindre, les niveaux politiques des décisions affectant le destin de chaque sujet. C’est ainsi un des rouages essentiels de toute démocratie .

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