« Réforme du financement de la psychiatrie hospitalière, Traduire le report en opportunité? » | Fabien Juan et Aurélien Rosa

Si la réforme proposée par le gouvernement repose sur des principes louables et a le potentiel d’amorcer des approches bénéfiques, son déploiement pourrait pérenniser les inégalités sans répondre aux réels besoins de la filière, en ne traitant qu’un aspect, certes clé, mais partiel, des parcours de soins en santé mentale. L’année 2021 représente une opportunité claire de transformer l’essai en détaillant l’ébauche pour renforcer le potentiel de transformation vertueux.

Fabien Juan est Directeur d’établissement, Médecin psychiatre et expert visiteur HAS et Aurélien Rosa est Directeur Associé d’un cabinet de conseil aux acteurs de la santé

Des principes correspondant aux besoins de réforme de la psychiatrie hospitalière

Les axes de la réforme sont en phase avec certains enjeux d’évolution de la psychiatrie hospitalière, et notamment :

  1. Le comblement des déficits locaux et régionaux, en organisant un rattrapage des régions les moins bien dotées. De la même manière, constituer une valorisation homogène au niveau national constitue un gain majeur en matière de transparence.
  2. La prise en compte des tendances épidémiologiques des populations prises en charge, en affirmant ainsi un principe de responsabilité territoriale (sectorisation) qui a fait ses preuves.
  3. Un équilibre entre dotation populationnelle relativement stable, et une prime à l’activité ; incluant une emphase claire sur la densité des prises en charge, en particulier sur les parcours ambulatoires.
  4. L’amorce d’une codétermination économique mettant autour de la table les acteurs véritables de la prise en charge, sous la forme de commissions territoriales menées par la communauté des établissements.

En considérant les thématiques abordées, la réforme a le potentiel d’amorcer des réflexions médicales nationales sur les bonnes pratiques.

Au-delà des principes posés, le modèle retenu semble avoir sacrifié l’affinage et la co-construction des mesures concrètes au calendrier.

Péchant par excès de prudence, le dispositif risque ainsi de manquer son objectif de transformation. Cela se manifeste ainsi par des arbitrages principalement basés sur des calculs théoriques, plutôt que sur les bonnes pratiques. Parallèlement, en se voulant simple, le modèle ignore certaines spécificités d’activité, qui pourraient être fortement pénalisées par ce nouveau régime.

L’insuffisante clarification des règles d’allocation risque de maintenir le statuquo

Le mode actuel de financement de la psychiatrie hospitalière publique et non lucrative est sans aucun doute parmi les plus opaques du monde de la santé. Les ressources dont chaque établissement bénéficie constituent un secret jalousement gardé, par les intéressés d’une part, et par les tutelles d’autre part. Souvent, les ressources perçues sont en totale déconnexion avec la réalité (et le volume) des prises en charge et de la valeur ajoutée proposée par les établissements pour leurs populations.

Fruit d’un historique ou de volontés politiques directes, ces modalités découragent la comparaison et l’amélioration collective en dissuadant l’innovation et la performance. Les éléments de la réforme dévoilés jusqu’à présent conservent un flou certain quant à la marge de manœuvre d’allocation des ressources au niveau local, en indiquant simplement qu’un conseil territorial composé des acteurs des établissements aurait la charge d’affecter ces ressources de la manière la plus pertinente. Cela contribue ainsi fortement aux inégalités entre établissements et restreint le potentiel de développement d’acteurs véritablement innovants.

Assumer l’ambition de régulation pour donner du sens

Tel que présenté aujourd’hui, le dispositif dévoilé ne semble pas tirer les leçons de la mise en place de la Tarification à l’Activité (T2A) pour les hôpitaux et, dans une moindre mesure, de la Dotation Modulée à l’Activité pour les soins de suite. Quand bien même la vision initiale de la T2A n’avait pas pour ambition d’utiliser les tarifs comme régulateur des pratiques sanitaires, il est illusoire de prétendre que les arbitrages inscrits dans le modèle n’auront pas un impact direct sur les prises en charge. En ce sens, les points de rupture dans la valorisation des journées d’hospitalisation ne doivent pas être purement le fruit de découpages statistiques ;

A titre d’exemple, le modèle actuel prévoit un financement drastiquement réduit pour les journées d’hospitalisation au-delà du neuvième jour au sein d’un centre de crise. Etant donné que la majorité des effets des stabilisateurs médicamenteux n’est ressentie qu’au quatorzième jour, l’efficacité clinique de ce choix est discutable, voire potentiellement risquée, induisant la possibilité de rechute ou de rupture de soins.

En outre, les modalités de financement améliorées pour les hospitalisations sous contrainte risquent de conduire à un paradoxe, leur survalorisation incitant les établissements à les privilégier, au détriment possiblement des patients et de la politique actuelle de limitation de ces types de prise en charge.

La psychiatrie hospitalière est un maillon d’une chaîne qui doit être prise en considération dans son intégralité et dans sa territorialité

Les ruptures de parcours de soin, causées bien souvent par les clivages latents entre les acteurs (sanitaires, médico sociaux et sociaux) de la prise en charge, ne sont en aucun cas visées par la réforme. Les forfaits dits « au parcours » ne sont pas envisagés alors qu’ils pourraient constituer la pierre angulaire de la coopération entre les acteurs d’un territoire, et contribueraient de manière notable à l’établissement et la solidification de filières.

La réponse hospitalière psychiatrique française, bien que très institutionnelle sur nombre de points a pris la direction privilégiée par la quasi-totalité des pays industrialisés de limitation des hospitalisations en faveur de prises en charge ambulatoires et « dans la cité ». Pour autant, le dernier maillon de la chaîne – les structures médico-sociales qui accueillent les patients souffrant de troubles durables et contribuent de manière structurante à leur réinsertion – n’est pas évoqué dans le cadre de la réforme. La contrainte du double financement (Etat et collectivités locales) explique vraisemblablement cet « oubli », au même titre que la complexité existante.

L’année 2021 peut permettre de dépasser l’approche technocratique et s’appuyer sur la co-construction pour apporter des réponses concrètes et légitimes.

Face à ces enjeux, le report offre l’opportunité de mener les travaux nécessaires et essentiels à la pertinence et à la légitimation des mesures en amorçant dès à présent des travaux de co-construction approfondis et concrets. En cohérence avec le plan gouvernemental, des groupes de travail thématiques devraient être lancés dès à présent sur les thématiques suivantes.

Clarification des mécanismes d’affectation au niveau local

Afin de répondre au risque de maintien du statu quo, ce groupe aurait pour objectif la définition des modalités précises de fonctionnement du comité territorial d’affectation, ainsi que sa composition. Il est nécessaire d’en établir avec précision les modalités de gouvernance, les règles de calcul au niveau territorial, et le périmètre de marge de manœuvre à accorder. Parallèlement, la teneur des échanges du comité doit être accessible au public, et toute décision prise au-delà de l’application stricte des critères devant être justifiée.

Définition et affinage de la rémunération des hospitalisations, assumer le rôle de régulation

Intégrant les communautés médicale et infirmière, ce groupe aurait pour enjeu de développer une réflexion, s’appuyant sur des expériences nationales et internationales, sur les évolutions des pratiques à induire. A partir de celle-ci, le groupe proposera des modalités de modulation de la valorisation des journées afin de rendre plus attractives les pratiques souhaitables et de mieux contextualiser les modalités les plus complexes, notamment l’hospitalisation sous contrainte. Parmi les éléments potentiellement pris en compte pourraient être l’usage médicamenteux, la densité des prises en charge, les comorbidités, l’environnement social ou encore d’autres.

Valorisation des parcours de soins pour faciliter la coopération avec la ville

En capitalisant sur la mécanique de l’article 51, ce groupe aurait pour objectif d’identifier les pathologies ou situations susceptibles de se prêter à un financement au parcours. Une fois identifiées, le groupe pourrait établir un protocole d’expérimentation à débuter rapidement pour favoriser l’articulation ville-hôpital.

Etablissement de la feuille de route pour l’amont et l’aval

En intégrant les acteurs de la prise en charge non hospitalière, ce groupe aurait pour objectif de définir les articulations souhaitables entre la psychiatrie hospitalières et les autres acteurs de la prise en charge en santé mentale, libéraux, médico-sociaux ou sociaux. Sur cette base, le groupe de travail pourrait établir une feuille de route d’évolution possible des modalités de financement, prenant en compte notamment les complexités induites par le double financement état et collectivités territoriales.

Que peuvent faire les établissements en 2021 ?

Si la réforme doit encore être affinée au plus haut niveau, les établissements ne doivent pas attendre les préconisations des groupes de travail pour amorcer la réflexion nécessaire à leur transformation. Si les modalités précises doivent encore être finalisées, les grands principes s’appliqueront nécessairement, l’année 2021 constitue donc une opportunité pour les établissements de construire une dynamique afin de partir lancé dans le nouveau modèle. Cela leur permettra ainsi de progresser sur les chantiers suivants :

Repenser les parcours patients, en articulant plus fortement la prise en charge autour du Projet de Soins Personnalisé, mettant autour de la table les différents professionnels de la prise en charge au sein de groupes de travail pluridisciplinaires. Fondé sur les bonnes pratiques, ces travaux permettront d’amorcer la réflexion autour de la planification des soins, telle qu’elle débute au sein du SSR.

Construire et structurer l’articulation territoriale. Via le projet médical, il est urgent pour les établissements de santé mentale de sécuriser leur amont et leur aval pour se positionner sur le périmètre sur lequel ils sont attendus dans la chaîne de la prise en charge ; afin de construire leur stratégie territoriale avec leurs partenaires locaux autour de parcours de soins solides.

Mener un état des lieux sur les ressources et les besoins afin déterminer a minima la perspective dans laquelle se trouve l’établissement – au-delà des simulations partagées – et au mieux de ne projeter dans le futur. L’établissement de comparatifs de types benchmarks, s’appuyant sur les travaux de l’ENC, aux niveaux territorial et national permettront aux établissements de déterminer si leurs ressources humaines sont comparables à celles de leurs voisins pour déterminer les efforts éventuels à consentir. Du point de vue des recettes, une sensibilisation aux enjeux du bon codage, et une réflexion sur la charge en soin doivent permettre une planification à plus grande échelle des besoins en ressources humaines sur les années à venir.

Cette réforme constitue une opportunité sans précédent d’actualiser le système, tous les efforts sont pertinents en vue de minimiser le risque de rater l’opportunité de transformation en protégeant les historiques par un flou trop important, ou de déstabiliser les acteurs en mettant en œuvre un déploiement trop rigide.

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