« Complémentaires et hôpitaux : une meilleure collaboration pour des parcours de soins » | Albert Lautman et Camille Brouard

Préambule des fondateurs de la Fabrique : Déclaration de lien d’intérêt 

Un des membres de la Fabrique travaille actuellement dans un groupe fondé par une mutuelle complémentaire. Il n’a pas participé à l’écriture ni à la relecture du texte. La publication de cet article a d’ailleurs donné lieu à débat au sein de la fabrique de la santé : il n’y a pas une vision uniforme de l’ensemble des fondateurs sur la vision et le rôle que doivent jouer les mutuelles dans le système de santé de demain, dans le sens de ce que promeuvent les auteurs. Toutefois dans la mesure où aucun élément dans cet article ne contrevient fondamentalement aux valeurs et aux messages que souhaitent prévaloir la FDLS, et que cet article, qui vient compléter la rubrique « blog » de notre site, a le mérite de poser le débat, la décision a été prise de le publier, pour alimenter la réflexion de nos membres et de nos lecteurs.

Albert Lautman est directeur général de la Mutualité Française et Camille Brouard est chargé de mission auprès de la direction générale d’inter mutuelle assistance 

Le monde de la santé n’est pas avare de polémiques. Les débats préparatoires au Ségur de la santé en ont fourni un exemple en opposant le secteur hospitalier et les complémentaires. Le journal Les Echos révélait en effet le 12 juin dernier que « le directoire de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) [avait] élaboré ses propositions pour réformer l’hôpital. Faire disparaître la facturation auprès des mutuelles permettrait de créer 1 500 emplois dans le groupe ». La proposition, en pleine crise liée à la pandémie, revêtait un caractère magique permettant, d’un seul coup, de répondre aux critiques. Après plusieurs années de régulation, les hôpitaux sont en sous-effectif, limiter leur charge administrative permettrait un redéploiement du personnel et, dans le même temps, l’Assurance maladie s’emparerait d’un champ qui serait aujourd’hui occupé de manière illégitime par les complémentaires santé.

La déflagration de la grenade à propositions hâtives n’a, en réalité, pas eu un souffle très fort. Quelques jours plus tard, le Directeur général de l’AP-HP et le Président de la Mutualité Française cosignaient une tribune dans Le Monde appelant l’attention sur le vrai sujet, celui des restes à charge, seuls vrais coupables des situations de détresse des patients et de la complexité de gestion pour les hôpitaux.

« Ces restes à charge, dénonçaient Martin Hirsch et Thierry Beaudet, génèrent des complexités administratives qui ont des coûts importants, tant pour les hôpitaux que pour les organismes complémentaires. Des millions de restes à charge à calculer, facturer, rembourser, avec, à chaque fois, d’importants traitements au cas par cas, des formalités administratives conséquentes. Cela représente des milliers d’emplois qui ne sont pas au service direct du patient ou de l’assuré. Les hôpitaux sont parfois conduits à dépenser plus pour recouvrir la créance que le montant de la créance elle-même quand il s’agit de petites sommes. Et ils sont conduits à devoir abandonner la créance face à des patients qui ne peuvent l’honorer quand il s’agit de grosses sommes. Les organismes complémentaires doivent traiter et retraiter des quantités de justificatifs pour un phénomène sur lequel ils n’ont pas prise. »

Pour clore définitivement le débat de la complexité supposée des relations administratives entre les hôpitaux et les complémentaires santé, rappelons toutefois qu’un projet très avancé, le ROC (remboursement des organismes complémentaires), associant l’ensemble des familles de l’assurance santé privée permettra, dans un horizon proche, d’automatiser et de normaliser l’ensemble des flux.

Au-delà de la polémique, il nous semble aujourd’hui stérile d’opposer deux secteurs, le monde hospitalier et celui des complémentaires santé. Des liens forts existent et des synergies, dans l’intérêt du patient, doivent se développer demain.

Les complémentaires sont des acteurs qui contribuent à l’offre sanitaire

Les complémentaires santé remboursent 13% des dépenses de la Consommation de soins et biens médicaux (CSBM) dans le cadre d’un système à deux étages qui, rappelons-le, n’est pas propre à la France. Parmi ces 13%, environ 4 milliards d’euros sont consacrés aux dépenses hospitalières –sans compter les remboursements de dépassements d’honoraires de médecins exerçant au sein de l’hôpital, ni les montants relatif à la chambre particulière qui ont beaucoup augmenté ces dernières années.  Ces montants peuvent paraître marginaux au regard de l’ensemble du montant des dépenses hospitalières.

Du point de vue du patient, ils sont toutefois significatifs. Les chiffres de la Mutualité Française le mettent en lumière. Après intervention de  la Sécurité sociale, le reste à charge hospitalier est en moyenne de 396 €, les mutuelles en remboursent 90 %.

Du point de vue des mutuelles, les dépenses hospitalières sont également un champ dynamique, leur 1er poste de dépenses puisqu’entre 2001 et 2017, la part de l’hospitalisation dans leurs remboursements est passée de 14 % à 20 % (hors remboursement des chambres particulières).

Enfin, du point de vue du directeur d’un établissement hospitalier, ces sommes sont importantes et chacun reconnaît volontiers que dans une situation de tension économique, l’apport pécuniaire résultant des remboursements des complémentaires santé est majeur dans un projet de développement ou de consolidation d’un établissement.

Au-delà, certaines complémentaires, plus particulièrement les mutuelles relevant du Code de la Mutualité, sont elles-mêmes directement investies dans l’offre sanitaire et médico-sociales à travers leurs « services de soins et d’accompagnement mutualistes ». En effet, c’est une spécificité des mutuelles finalement peu connue qui, au-delà de leur activité assurantielle, sont habilitées, selon les dispositions du Code de la Mutualité, à « mettre en œuvre une action sociale, [à] créer et exploiter des établissements ou services et [à] gérer des activités à caractère social, sanitaire, médico-social, sportif, culturel ou funéraire, et de réaliser des opérations de prévention ». Ces établissements, non lucratifs, sont répartis sur l’ensemble du territoire, le plus souvent dans des zones où l’offre privée (lucrative) est, elle, peu présente…

Ces deux points montrent que les complémentaires santé, et à plus forte raison les mutuelles, peuvent être doublement contributrices du système sanitaire. A terme, c’est davantage vers une coopération et des services croisés qu’il faudrait tendre.

Les complémentaires et les établissements sanitaires auraient intérêt à développer des services communs

Plusieurs pistes existent et/ou mériteraient d’être développées pour favoriser les synergies croisées entre les hôpitaux et les complémentaires santé en se plaçant du point du vue du patient.

Prenons l’exemple de l’entrée et la sortie d’hospitalisation dans le cadre d’une intervention programmée. Celle-ci est souvent synonyme de stress et d’impréparation du patient ne connaissant pas ou oubliant les démarches à suivre. Le retour à la maison à la suite de l’intervention est lui aussi anxiogène et peut favoriser un retour vers les urgences.

Si beaucoup d’établissements sanitaires ont établi des protocoles de contact avec le patient en amont et en aval d’une intervention, tous ne les pratiquent pas. Cette activité peut par ailleurs absorber une partie des ressources des établissements. Elle pourrait être menée en lien avec les complémentaires santé lesquelles s’appuieraient sur leur assisteur pour une prise en charge, par des professionnels agréés, de toutes les dimensions logistiques et paramédicales. Dans certains cas, elle pourrait prendre une forme très avancée à l’instar de l’expérimentation menée avec l’Institut Montsouris, la Fondation de l’avenir et deux groupes mutualistes. En l’espèce, il s’est agi de poser les fondements d’un programme de « prise en charge par un accompagnement renforcé » avant et après la pose d’une prothèse de hanche :

  • en ayant recours à une application mobile dédiée,
  • à de l’assistance téléphonique pour aider la personne, en amont, à mieux se préparer à l’intervention chirurgicale et, une fois l’intervention ayant eu lieu, à vivre plus sereinement sa convalescence à domicile.

Au-delà de l’aspect primordial de la meilleure prise en compte de l’état du patient, ce type de démarches est vertueux pour l’ensemble du système de santé. Il est en effet évident qu’un patient que l’on accompagne mieux dans la gestion des effets d’une opération a moins de risque de se retourner vers les services d’urgences.

Ce type de dispositifs pourrait utilement être déployé dans l’accompagnement de maladies chroniques ou de traitements lourds. Dans le cas du traitement d’un cancer par exemple, le patient est souvent livré à lui-même dans la gestion de tâches qui peuvent sembler accessoires mais qui, quand on est affecté par une maladie et qu’on subit les effets d’un traitement, prennent d’importantes proportions… C’est le cas du transport entre son lieu de vie et l’hôpital : trouver un véhicule conventionné n’est pas si simple, s’assurer qu’il soit présent en temps et en heure est parfois un exercice compliqué, jongler avec les bons transports et gérer l’ensemble des formalités associées n’est pas une tâche agréable non plus… Cette logistique n’est pas à proprement parlé du ressort des hôpitaux, mais ces derniers seraient sans doute gagnants si un tiers, la complémentaire santé et ses services d’assistance, assuraient la prise en charge de ces missions pour le compte du patient.

On évoque très souvent la nécessité de penser la santé en fonction de parcours, adaptés à la situation des patients. Peu existent en réalité. L’hôpital et les complémentaires santé gagneraient à travailler plus souvent de concert pour en dessiner les contours avec tous les acteurs de l’écosystème de la santé.

Libérer les synergies…

La période actuelle appelle de nouvelles solutions et plus d’agilité pour répondre à des besoins inédits.

Au cours d’un récent échange, un décideur au sein d’une Agence régionale de santé nous confiait l’un de ses dilemmes. Le besoin d’innover tend à favoriser des structures de l’univers des start-up. Il y a derrière ce choix à la fois une volonté d’aller vite et aussi, avouons-le, un effet de mode. Pourtant ces dernières peinent à fournir les solutions de nature industrielle qui permettraient de changer d’échelle et donc de profiter à l’ensemble du système de santé. Le monde des mutuelles, l’ensemble des solutions qu’elles agrègent autour d’elles, sont de potentiels atouts pour une plus grande efficacité du système sanitaire et médico-social. Elles ont démontré qu’elles savaient construire de nouveaux parcours, de nouvelles modalités d’organisation, de concilier la prise en charge humaine à des technologies digitales. Les quelques exemples fournis supra en témoignent. Elles ont par ailleurs la capacité d’accompagner un changement d’échelle.

En somme des solutions et des idées ayant fait leur preuve existent aujourd’hui. Des structures capables de les porter sont également présentes. Nous sommes convaincus que les mutuelles en font partie.

Plusieurs blocages persistent encore. Le premier est de nature presque idéologique. Les mutuelles sont encore trop souvent vues comme de potentielles concurrentes de l’Assurance maladie ou, lorsqu’elles organisent des services, comme des concurrentes des structures sanitaires et médico-sociales publiques. Il existe donc, très clairement et (malheureusement), un déficit de confiance. Leurs innovations, locales, dans un univers, celui de la santé, à la fois très jacobin dans la prise de décision, et très éparse dans l’organisation, ne sont pas toujours visibles. Enfin, les financeurs de l’innovation ont aujourd’hui du mal à transformer une expérimentation en un processus industriel de sorte qu’une bonne idée, démontrée et argumentée, n’est mise en œuvre que quelques mois alors qu’elle pourrait profiter en masse à l’ensemble du système… Ces trois phénomènes conjugués sont des freins à la généralisation de solutions telles que celles évoquées dans notre propos.

Notre conviction est que le monde sanitaire et médico-social dispose d’un allié et d’un partenaire dans le champ de la complémentaire santé. Il est temps désormais de libérer ces synergies.

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