« EHPAD : pour ne plus se battre sans arme » | Romain Aulanier et Eve Guillaume

“Tragédie à huis clos” pour Libération, “EHPAD, les a-t-on assez protégés ?” pour La Croix ou “Un drame loin des familles” pour Le Dauphiné, les EHPAD ont subi de plein fouet une vague meurtrière qu’ils n’avaient pas connue depuis plus de quinze ans. Une lutte acharnée contre la Covid-19 s’est engagée durant un temps exceptionnellement long. Alors que les équipes fortement mobilisées n’avaient pas encore eu le temps de reprendre leur souffle, des voix se sont élevées pour contester ce modèle et demander sa fin.

Romain Aulanier est élève-directeur  d’établissements sanitaire, social et médico-social (D3S) et Eve Guillaume  est directrice de l’Ehpad public Lumières d’Automne

Cette crise a certes mis en avant les points faibles de ces établissements mais il nous semble plus pertinent d’offrir un large spectre pour déployer un accompagnement efficient de nos aînés. C’est pourquoi, il convient d’apporter des armes nouvelles aux EHPAD pour protéger et mieux accompagner des résidents en quête de lien social, ce que d’autres modes de vie ne peuvent offrir que trop occasionnellement.

Saisissons ce moment historique qu’est l’après-crise et le débat sur la nouvelle branche autonomie pour donner aux personnels, investis quotidiennement dans l’accompagnement des résidents des EHPAD, des moyens ambitieux d’accomplir leur noble mission. Pour cela, nous formulons cinq propositions.

1. Donner les moyens aux EHPAD d’assurer une prise en charge médicale de qualité

L’épidémie de coronavirus a mis en évidence la nécessaire médicalisation des EHPAD. L’implication du médecin coordonnateur, en l’absence des médecins traitants qui devaient limiter leur déplacement dans l’établissement, a été déterminante dans l’organisation médico-soignante des établissements. Leur rôle a été de former le personnel aux gestes barrières, de réaliser des protocoles anticipés pour les infirmiers, de participer aux cellules de crise en lien avec le directeur et le cadre santé.

Cependant, le médecin coordonnateur n’est présent que quelques jours par semaine dans la majeure partie des établissements. Durant la crise, une partie d’entre eux ont renforcé leur temps de présence dès l’apparition des premiers cas, au détriment de leur engagement dans d’autres structures. L’absence de continuité médicale est donc une limite dans l’organisation des EHPAD. Les infirmiers doivent faire preuve d’une grande autonomie et parfois se retrouvent démunis. Reste alors le recours aux filières gériatriques ou aux réseaux divers du territoire, lorsqu’ils existent.

La continuité médicale peut aussi être entravée par l’absence des médecins traitants simultanément au médecin coordonnateur. Les médecins traitants interviennent à titre libéral. Le directeur de l’établissement n’a donc pas de maîtrise sur leurs congés annuels et leurs remplacements. Il peut donc arriver que le médecin coordonnateur s’absente de l’établissement sur la même période que les intervenants libéraux.

La coordination et l’implication des intervenants libéraux dans le projet de l’établissement est une autre limite souvent vécue par les établissements. Les médecins traitants ont l’activité de leur cabinet en parallèle et parfois d’autres engagements qui limitent leur implication dans les projets de l’établissement.

Ainsi, la présence physique ou d’astreinte d’un médecin 7j/7 est une nécessité. Le public accueilli en EHPAD est de plus en plus dépendant avec une médicalisation importante et des multi-pathologies. Il est indispensable de médicaliser ces établissements, notamment en accentuant le nombre d’établissements au tarif global, permettant une autonomie d’organisation de recrutement des intervenants médico-soignants.

2. Augmenter et diversifier la présence du personnel pour augmenter la qualité d’accompagnement des résidents

Durant la crise, les soignants ont été d’une singulière exemplarité. Mobilisés aux côtés des résidents les plus fragiles, ils ont affronté une situation sanitaire que personne n’avait imaginée. Le Ségur de la Santé a offert une revalorisation bienvenue à des personnes jusqu’alors peu rémunérées. Mais le temps de présence auprès des résidents d’EHPAD ou des personnes à domicile est sous dimensionné, l’accompagnement vers une vie sociale en EHPAD trop limité. Les rapports s’enchaînent et se répètent : nous devons dépasser le taux moyen de 63,3 ETP pour 100 résidents pour atteindre l’objectif de 100 ETP pour 100 résidents.

S’il faut renforcer l’offre d’accompagnement dans les actes de la vie quotidienne avec un renforcement des AS et des ASH, il convient aussi d’offrir de nouvelles prestations de prévention. Par exemple, l’intervention des professionnels de l’Activité Physique Adaptée (APA) doit être généralisée auprès des résidents dans le but d’améliorer l’autonomie et de baisser la prise en charge médicamenteuse. Mais d’autres métiers, peu présents dans les EHPAD pourraient améliorer la prévention de la perte de l’autonomie : orthoptiste, , éducateur spécialisé…

Les professionnels engagés font face à une forte charge mentale, leur offrir du temps de psychologues du travail leur permettrait d’améliorer leur vécu de situations émotionnellement difficiles. Des ergothérapeutes les aideraient à préserver leur capital santé par des formations aux gestes et bonnes postures et des assistantes sociales pourraient faire le lien entre administratif et familles.

De nouveaux professionnels doivent entrer dans nos EHPAD pour les rendre plus humains et plus sociables aussi bien pour les résidents que pour les intervenants.

3. Accentuer les coopérations et simplifier le pilotage territorial

Les coopérations inter-établissements ont été une force pour les établissements de santé tout au long de la crise :

  • Mutualisation de personnel voire mise à disposition de personnel notamment entre le secteur du handicap qui a vu beaucoup de ses structures fermées et le secteur des EHPAD ;
  • Mutualisation des achats concernant les équipements de protection individuelle, échange de stock de matériel par solidarité ;
  • Organisation territoriale des lits : admission temporaire en EHPAD de personnes âgées post Covid avant un retour à domicile, admission de patients en SSR ou autres services pour libérer des lits à l’hôpital, création d’unité COVID gériatrique dans les hôpitaux pour prendre en charge les résidents d’EHPAD ;

L’inscription de l’EHPAD dans son territoire est indispensable. Un établissement de petite taille, seul, se retrouve isolé. Le rapprochement des EHPAD entre eux permet de faciliter les échanges de bonnes pratiques, de recruter des métiers spécifiques en commun (ingénieur qualité, psychologue du travail, assistante sociale…), de mutualiser des achats pour diminuer des coups. Pour une meilleure coordination, la création d’un groupe de coopération sanitaire avec une gouvernance claire voire une direction commune sont des outils intéressants, à développer.

Devenir partenaire d’un groupe hospitalier de territoire, participer à la filière gériatrique sont aussi indispensables pour créer des liens avec le sanitaire, mieux connaître les acteurs du territoire et développer des projets communs qui répondent aux enjeux locaux.

La question du pilotage local doit aussi nous interroger à la sortie de cette crise épidémique. Les agences régionales de santé (ARS) et les départements, chefs de file de l’action sociale, ont une intervention conjointe sur les EHPAD. Si les ARS ont été présentes dans l’accompagnement des établissements médico-sociaux, à la fois pour relayer les consignes nationales, répartir les équipements entre les établissements et aider à la recherche de renfort en personnel, les départements ont eu une implication variable selon les territoires.

Le rapport de Dominique Libault a identifié la complexité de ce pilotage bicéphale ; chevauchement de compétences, alourdissement du dialogue de gestion, manque de lisibilité pour l’usager. Les EHPAD, tendant à accueillir un public de plus en plus médicalisé et à se rapprocher des filières gériatriques des hôpitaux, doivent se rattacher à un pilotage unique des ARS, ce qui simplifierait ce schéma, aujourd’hui trop complexe.

La création de la 5ème branche est l’occasion d’aboutir à cette simplification. Cela passe aussi par un financement redéfini. La CNSA pourrait verser alors directement aux ARS les 2,5 milliards de crédits alloués pour l’instant aux Conseils Départementaux.

4. Inscrire les EHPAD comme centre de ressources du grand âge sur leur territoire

L’EHPAD, largement critiqué et remis en question durant cette crise, se doit de se réinventer. Plusieurs raisons conduisent à cette nécessité :

La première s’explique car ces établissements, ex maisons de retraite ne doivent plus être des lieux d’isolement du reste de la société. Cette image repoussante dans l’imaginaire collectif est pourtant loin de la réalité. Une véritable vie en collectivité s’organise derrière les murs. Mais celle-ci se limite trop aux seuls résidents et personnels, sans s’ouvrir vers l’extérieur.

La seconde vient du fait que les EHPAD restent souvent le dernier service public de santé dans de nombreuses communes rurales. Ces territoires se vident, les médecins généralistes, souvent présents depuis de nombreuses années prennent leur retraite sans trouver de remplaçants. Conséquence directe : le médecin généraliste est loin alors que le premier hôpital l’est encore plus. Les patients trop éloignés des professionnels et des établissements nécessaires à leur accompagnement en soins renoncent à s’occuper de leur santé malgré la nécessité.

Alors, face à ces constats, pourquoi ne pas s’appuyer sur ces établissements médico-sociaux ? Ils ont un triple avantage :

  • ils sont répartis sur tout le territoire métropolitain, offrant un maillage territorial appréciable.
  • Ils ont, pour beaucoup, un historique d’hôpital local, délaissé au profit d’une massification du système de santé.
  • Ils possèdent aussi une véritable expérience dans l’accompagnement de personnes.

Il est temps de redynamiser ces potentielles entrées dans le système de santé. Les EHPAD pourraient devenir des petits centres locaux de santé offrant un service médical de proximité à une population rurale vieillissante. Cette proposition permettrait ainsi de rendre ces territoires plus attractifs aux yeux de ces jeunes professionnels. Ainsi, de jeunes médecins pourraient opter pour du salariat, souhait de plus en plus exprimé pour mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle. Avec un plateau technique élargi à un chirurgien-dentiste, des IDE, et d’autres professionnels de la santé, il est possible d’imaginer un service de premier recours, en journée, pour la population locale tout en augmentant la qualité de soins pour les résidents de l’EHPAD.

A ce premier dispositif pourrait s’ajouter un second : offrir des consultations spécialisées aux personnes âgées du territoire. Avec un EHPAD renforcé de gériatres sous le statut de praticien hospitalier, ces derniers seraient à la fois au service des résidents de leur lieu de vie pour mieux les accompagner au quotidien et des personnes âgées du territoire afin de leur éviter de rejoindre un centre hospitalier, bien souvent éloigné de leur domicile.

5. Créer une offre de recherche dans des EHPAD universitaires

 Si la Silver économie participe de plus en plus au développement de l’innovation en EHPAD, la recherche fondamentale et appliquée est trop peu présente. En lien avec les centres hospitaliers universitaires, les EHPAD publics autonomes ou non, devraient avoir la possibilité de bénéficier de projets de recherche pour améliorer l’offre de service et l’accompagnement des personnes âgées en établissement et au domicile. Les liens entre les laboratoires de recherche et les EHPAD doivent donc être renforcés.

Les EHPAD sont des terrains de stage pour les métiers du soin : aides-soignants, infirmiers, psychomotriciens, ergothérapeutes… Mais les étudiants en médecine n’y passent qu’à l’occasion d’un stage dans un cabinet libéral y intervenant comme médecin traitant. Il serait pourtant pertinent que les externes et les internes en gériatrie et médecine générale aient davantage l’occasion de découvrir le secteur de l’EHPAD. Les médecins coordonnateurs avec un temps de médecin prescripteur pourraient être habilités maître de stage pour accueillir ces étudiants. L’attractivité pourrait alors être renforcée, en déconstruisant les idées reçues de l’exercice en EHPAD.

Ces missions d’enseignement et de recherche doivent s’inscrire dans les missions d’un service publique de l’autonomie.

 

La crise épidémique que nous venons de traverser, a mis en exergue les faiblesses du système de santé. Les travaux entamés dans le cadre du Ségur de la santé et les différentes annonces faites par le gouvernement ont permis une amorce d’amélioration. Ces propositions inscriront les EHPAD publics dans des missions d’intérêt général, au service de toute la population de territoires aujourd’hui trop souvent éloignée du système de santé. Ces EHPAD pleinement entrés dans le XXIème siècle seront les unités de base du service public de l’autonomie.

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