La crise sanitaire majeure du COVID19 a montré à quel point la conduite d’une transformation numérique puissante et accélérée constituait une condition sine qua none pour l’avenir de notre système. La transformation digitale des établissements de santé est donc nécessaire. Elle permet de s’ouvrir à l’innovation pour éviter une mise sous tutelle numérique de la France et de l’Europe en santé.
David Gruson est membre de la chaire Santé Sciences Po, fondateur d’Ethik-IA et directeur du programme Santé de Jouve
Plusieurs points de bascule majeurs sont intervenus au cours de la crise.
Le changement s’est opéré, en premier lieu, par les attentes des patients avec une démultiplication massive du recours à la télémédecine. Si la réponse à la crise du COVID-19 est d’abord et principalement humaine, il faut également relever que le numérique et l’intelligence artificielle ont en réalité assez largement été utilisés dans la pratique de la réponse à la pandémie : repérage des foyers épidémiques, apprentissage automatique par reconnaissance d’image sur les clichés pulmonaires, mobilisation de robots pour faire respecter des mesures de confinement pour des millions de personnes… En outre, sont en cours de déploiement des outils d’intelligence artificielle susceptibles d’aider à la gestion du “back-office” en contexte épidémique, par exemple en permettant une admission des patients à distance pour désengorger les files d’attente à des fins purement administratives dans les hôpitaux. Pour autant, ces dynamiques positives à l’œuvre suscitent également un questionnement sur notre capacité collective à les développer dans un cadre français et européen. Pas de doute possible sur ce point : c’est une condition sine qua none pour la préservation d’une souveraineté française et européenne sur nos systèmes de santé.
Cet effet d’accélération ne doit pas conduire à perdre de vue que la bascule positive vers le digital était déjà engagé, certes à un rythme plus lent que dans d’autres pays.
Ce changement essentiel constitue l’une des expressions de la révolution numérique qui concerne notre société dans son ensemble et touche massivement notre système de santé.
La transition numérique constitue l’un des objectifs majeurs dans le cadre du Plan Ma Santé 2022 et de la feuille de route tracée lors de l’engagement du Ségur de la Santé. La dématérialisation constitue l’un des vecteurs de cette transition. Pour autant, en dépit de la prise de conscience des enjeux, le secteur de la santé reste, en l’état, très en retard dans la mise en place de processus intégralement digitaux au sein de ses propres organisations.
On estime notamment aujourd’hui que moins de 10 % des communications médicales transitent de manière nativement numérique… En outre, les hôpitaux continuent de produire chaque année plus de 200 millions de feuilles de papier rien que pour leurs factures.
Plusieurs tendances sont perceptibles et témoignent d’une véritable bascule du secteur vers une transition numérique effective :
– Les évolutions réglementaires tout d’abord, en tant que facilitatrices de la transition numérique. Aujourd’hui, une communication numérique peut juridiquement avoir la même valeur qu’une communication papier dès lors qu’elle est tracée et sécurisée.
La mise en place du DMP et la généralisation de l’identification numérique des professionnels de santé via le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) vont aussi dans ce sens ; les usages, qui évoluent. La crise du COVID19 a accéléré ces effets d’allègement réglementaire notamment s’agissant des prérequis à la télémédecine ;
– La crise sanitaire ne fait pas disparaître le besoin de gains d’efficience pour les établissements de santé. Au contraire, les besoins croissants constatés sur les fonctions médicales et soignantes rendent d’autant plus nécessaire la mobilisation d’économies sur les fonctions-supports par le recours au numérique. Nous avions montré dans une étude pour l’Institut Montaigne en janvier 2019 que la transition digitale pouvait amener un effet d’efficience en année pleine de 500 M€ à 1 Md€ sur ce back-office administratif, financier et logistique ;
– L’accélération des ruptures technologiques constitue une clé de compréhension en soi. Si la mise en place du DMP et le déploiement des dossiers patients informatisés (DPI) permettent de conserver numériquement et localement (informatique en nuage ou cloud computing) un dossier patient, les échanges numériques restent toutefois à généraliser. Cette généralisation est clé quand on évoque, par exemple, les sujets liés à la télémédecine ou à la résorption des déserts médicaux.
Dans ce paysage, l’arrivée de technologies émergentes telle que la communication 5G est une opportunité à saisir pour permettre d’assurer les missions de santé sur l’ensemble du territoire, tout en permettant de massifier les moyens au sein de véritables pôles d’excellence. De même, les avancées dans les domaines de l’analyse de données en masse (Big Data), de l’intelligence artificielle ou de la robotique ont des impacts très forts dans des domaines aussi variés que l’analyse épidémiologique, les soins de suite ou l’organisation des plateaux médico-techniques.
Si la gestion de crise a donc permis des effets d’accélération de ce processus de changement digital, la réalité de ce mois de juin 2020 demeure instable.
Certaines critiques – non justifiées à mon sens – émises ces dernières semaines à l’encontre du Health Data Hub montrent ce potentiel d’incertitudes. Il ne faut pas s’y tromper : il est impératif que nous fassions collectivement réussir cette grande avancée que représente le Health Data Hub, plateforme de données de santé sous régulation d’intérêt collectif.
À défaut, nous ouvririons la voie, comme l’a montré aussi cette période si difficile, au risque d’une véritable mise sous tutelle numérique de la France et de l’Europe. C’est cette idée que nous défendons depuis près de trois ans avec Ethik-IA avec, comme levier, l’introduction du principe d’une Garantie Humaine de l’IA et du numérique en santé dans la révision de la loi de bioéthique.
La Commission européenne a bien voulu relayer cette notion dans son Livre Blanc sur l’IA publié le 19 février dernier.S’ouvrir à l’innovation dans des cadres de confiance éthiques : nous devons avoir le courage de cette prise de risque si nous ne voulons pas perdre la construction de notre avenir collectif en santé.
La crise du COVID19 a permis aux équipes hospitalières de prendre concrètement conscience de la nécessité de s’engager dans des démarches de transition numérique à la fois pour renforcer le service rendu par leurs établissements aux patients, mais aussi pour moderniser et simplifier les modalités d’échanges – qu’ils soient internes ou externes, avec leurs agents comptables ou leurs fournisseurs – et pour automatiser et accélérer leurs propres processus internes et générer des gains d’efficience tangibles par la diminution des coûts de gestion sur les fonctions-supports. Cette approche constitue un vecteur essentiel de débureaucratisation de l’hôpital mais aussi de mobilisation de ressources précieuses pour répondre aux besoins de santé des patients.
Intéressante approche de la nécessité d’une organisation cohérente, planifiée et a minima nationale… du continuum numérique en matière de Santé. Une problématique portant sur l’efficacité du système de santé, la légalité des moyens employés en termes de secret médical mais aussi de transmission et de conservation des données, et l’emploi des technologies les plus avancées au service de l’offre de soin.
Merci David Gruson
“au risque d’une véritable mise sous tutelle numérique de la France et de l’Europe.”
Il semble bien que c’est ce qui est en train de se passer avec le contrat Microsoft du Health Data Hub. Encore plus ahurissant que la vente d’Alstom, car cette fois ci, c’est nous qui payons pour hypothéquer l’avenir du pays et remettre le futur de notre système de santé à une entreprise américaine.
Bonjour
Meme si je pense que c’est une priorité immédiate, je ne partage pas votre enthousiasme sur la dernière proposition “La crise du COVID19 a permis aux équipes hospitalières de prendre concrètement conscience de la nécessité de s’engager dans des démarches de transition numérique à la fois pour renforcer le service rendu par leurs établissements aux patients, mais aussi pour moderniser et simplifier les modalités d’échanges – qu’ils soient internes ou externes, avec leurs agents comptables ou leurs fournisseurs – et pour automatiser et accélérer leurs propres processus internes et générer des gains d’efficience tangibles par la diminution des coûts de gestion sur les fonctions-supports”.
Après 30 ans de carrière je n’ai pas vu de progrès majeur sur ces processus à la hauteur des besoins dans les établissements publics… les établissements privés ont été plus performants.
Le programme Hop’en est vide sur les fonctions support et la convergence des SI de GHT reste difficile sur ces domaines.
Le retard sur d’autres pays européens peut être colossal quand on fait des comparaisons à iso process, par retard à l’adoption de certains standards.
J’ai réellement eu espoir quand sous l’impulsion de G Vincent a été créé le GMSIH dont les actions et publications ont été fondateurs (certaines restent actuelles et peu appliquées) et je reste inquiet du peu d’impact de ses successeurs ASIP puis ANS et ANAP, sur les politiques numériques des établissements.
Pour reprendre et compléter modestement votre propos “l’analyse de données en masse (Big Data), de l’intelligence artificielle…” offre optimisation/ergonomie de production des soins, permet de sécuriser les soins et impacte le secteur assurantiel (à minima 10000 décès par iatrogenie ??)