Les médecins à diplôme étranger (appelés communément PADHUE, Praticiens à diplôme hors Union Européenne) sont non seulement pléthores dans les établissements publics hospitaliers mais ils y occupent aussi une place importante. On les trouve essentiellement dans les services à gardes éprouvantes comme les urgences et là où la concurrence du privé rend l’attractivité nulle comme la chirurgie ou la radiologie (et dans ces deux spécialités il y a des gardes aussi). Sans eux, ces services ne fonctionneraient pas dans une multitude d’hôpitaux, le plus souvent dans des déserts médicaux ou des zones difficiles où l’offre médicale est déjà pauvre. Il ne s’agit pas d’un problème nouveau et tous les médecins de France encore en activité ont au moins fréquenté ces praticiens pendant leurs études et stages à l’hôpital.
Mathias Wargon est Directeur de l’Observatoire Régional des Soins Non Programmés d’Ile de France et co-fondateur de La Fabrique de la Santé
Qui sont ces médecins ? La plupart du temps ce sont des professionnels qui ont achevé leur formation dans leur pays d’origine et qui souhaitent soit mieux se former en France avant de retourner chez eux, soit changer de vie. Ils commencent généralement à exercer comme « stagiaire associé » pour remplir un rôle d’interne à 1300€ net par mois. C’est déjà une fiction car nombre de services les emploient comme médecins senior sans l’écrire et si ces salaires honteux ont longtemps été un argument important dans l’équilibre des dépenses, au vu des problèmes de recrutement, ils ne sont plus prépondérants. Ils passent ensuite le concours d’évaluation des connaissances soit dans leur spécialité soit en médecine générale, concours sélectif organisé en principe au mois de novembre. Après ce concours et ses résultats 2 mois plus tard environ, avant les nouveaux décrets (n° 2020-672 du 3 juin 2020 et n° 2020-1017 du 7 août 2020), ceux qui l’avaient réussi devaient faire 3 ans de stages notamment en pédiatrie, gynécologie et médecine interne pour les généralistes. Ces médecins étant indispensables aux urgences par exemple, il n’était pas rare que la durée de ces stages et leur validation soient à géométrie variable, stages où ils n’étaient d’ailleurs pas forcément intégrés à l’équipe dans un rôle qui leur permettait d’être mis en situation. Le début de carrière est rémunéré à hauteur de 2200 € nets environ mais la concurrence étant dure, les hôpitaux surenchérissent les uns sur les autres pour proposer dès le début des échelons beaucoup plus importants en sortant du cadre réglementaire. Puis à l’issue de la procédure leur dossier était envoyé au Centre national de Gestion où il était validé (mais pas toujours) puis pour nouvelle validation et enregistrement au conseil national de l’ordre qui instruisait aussi les dossiers.
Qu’apportent les nouvelles modalités ? Le décret d’août dernier permet désormais aux médecins ayant exercé sur le territoire national pendant au moins 2 ans en équivalent temps plein entre le 1er janvier 2015 et le 30 juin 2021, en étant rémunéré, de passer par une procédure de validation sans passer par les concours. Cette procédure dérogatoire à celle fixée par le décret 2020-672 a été accueillie avec joie par les intéressés, comme une mesure de justice sociale (sauf évidemment par ceux arrivés en même temps et qui ont passé ces concours). Il subsiste toutefois des problèmes puisqu’une commission (non définie) va approuver ces parcours et proposer un parcours de consolidation des compétences pratiques et théoriques. Le diable étant dans les détails « le nombre, la durée, qui ne peut être supérieure à celle du troisième cycle des études de médecine de la spécialité concernée, et la nature des stages à réaliser, ainsi que les formations théoriques complémentaires, éventuelles sont précisés ». Qui fera partie de la commission, où se feront les stages de ces praticiens déjà en poste, en pratique cela reste mystérieux. Par ailleurs en cas de non-réponse du CNG à la demande, celle-ci est considérée comme négative (« Le silence gardé par l’autorité administrative pendant douze mois à compter la réception du dossier complet vaut refus de délivrer l’autorisation d’exercice »), ce qui est dérogatoire à la pratique où le silence de l’administration vaut en général acceptation !
Dans le même ordre d’idée, les stages post concours de la voie normale ont été raccourcis à 2 ans, le principe des stages demeure mais avec une nouveauté très proche de notre internat : « substituant au recrutement direct de gré à gré par les établissements de santé des praticiens lauréats des épreuves annuelles de vérification des connaissances un dispositif d’affectation ministérielle subordonnée à un rang de classement ». C’est une problématique importante puisque les médecins à diplôme étranger, les chefs de services et les hôpitaux se choisissaient mutuellement dans un contrat. Les médecins ont souvent une famille avec des enfants scolarisés. Certains hôpitaux procurent même un logement ou d’autres avantages, dans un cadre qui flirte souvent avec les textes réglementaires. Ce qui est parfois un problème pour nos internes pour qui le contrat est connu depuis longtemps va être plus aigu pour nos collègues. Par ailleurs ils ne sont plus des internes et leur rôle est celui d’un médecin sénior. A qui profitera en réalité cette bureaucratisation du recrutement ? Aux centres hospitalo-universitaires qui n’ont jamais traité correctement ces médecins (les autres hôpitaux ont en général fait plus d’effort « trichant » même sur les rémunérations) mais dont les professeurs d’universités seront les coordonnateurs de spécialités ? Les hôpitaux qui auront les moyens politiques de réclamer ces internes ? Ou ceux qui font des efforts d’intégration depuis de nombreuses années ? La Fédération hospitalière de France qui représente les employeurs de ces médecins et dont les établissements seront les premiers à payer les pots cassés de la réforme si elle n’est pas équilibrée n’a pas encore pris position publiquement sur ce sujet. Par ailleurs dans les services d’urgence, la plupart des médecins passent le concours de médecine générale. Ils n’auront donc que peu de chances d’être affectés aux urgences. La disparition de la spécialisation par la capacité de médecine d’urgence décidée par les tenant du diplôme de spécialité posait déjà un énorme problème de mise à niveau, désormais on sait que le recrutement deviendra impossible et le passage vers une spécialisation sur un parcours professionnel illusoire. Le concours de l’an dernier a été déplacé au dernier moment (seul concours administratif à l’avoir été) pour des problèmes de confinement (alors que la plupart des candidats étaient déjà en France), le choix ne s’effectuera pas à son issue mais à partir de la prochaine session dont les résultats seront connus en janvier 2022 prenant le risque de catastrophe industrielle pour de nombreux services qui soit n’auront pas les médecins soit en auront beaucoup moins que ceux qu’ils formaient déjà avant de passer le concours. En deux ans même des services un peu attractifs ne pourront remplacer leur mode de recrutement.
Il n’est évidemment pas question de ne pas vérifier le niveau des médecins qui viennent de l’étranger mais des prérequis devraient être posés comme le fait que nous traitons avec des médecins thésés qu’on ne peut plus faire lanterner des années. Nos collègues dans l’Union européenne l’ont bien compris et ont souvent des procédures beaucoup plus courtes. On parle de responsabiliser les acteurs de l’hôpital mais cette nouvelle procédure est la négation de l’autonomie des établissements profitant de la fiction que ce personnel n’est pas essentiel au fonctionnement de nos hôpitaux. De nombreux chefs de services qui emploient ces médecins savent faire un entretien d’embauche et savent juger du niveau de ces médecins.
Il faut laisser l’autonomie de choix aux médecins à diplôme étranger et aux établissements et si ces médecins sont autant essentiels, il faut que leurs salaires soient équivalents à ceux des collègues qu’ils remplacent et qui ne reviendront pas Il sera donc également nécessaire de réformer la grille salariale de ces praticiens. A travail égal, salaire égal. Le système actuel avec la concurrence des autres pays confrontés aux mêmes problématiques va assécher nos hôpitaux, renforcer l’intérim et conduire à la fermeture ou la réduction de services de beaucoup d’établissements. C’est au fond la question du maintien du maillage hospitalier français actuel qui est posé.
En conclusion, il faut que notre système soit pragmatique mais aussi moral, remerciant ces médecins venus faire chez nous des tâches que les médecins que nous formons ne veulent plus faire. Et au-delà de toutes considérations administratives, ces médecins ont participé en première ligne à la lutte de nos hôpitaux publics contre l’épidémie de COVID, avec les risques pour leur santé, l’absence de possibilité de retour fréquent dans leur pays et auprès de leur famille. Nous leur sommes aussi redevables en les traitant pour ce qu’ils sont, bons collègues, nos collaborateurs et nos amis. Sans démagogie. Et sans xénophobie.