Il est, pour tout professionnel de santé qui passe un jour du côté du patient et devient son accompagnant, intéressant de garder un œil averti sur les écueils qu’il a pu rencontrer tout au long du parcours, et confirmer ou infirmer les orientations actuelles de la politique de santé, autant que ses manques.
Florence Ambrosino est infirmière, diplômée d’un Master en sciences cliniques infirmières et responsable pédagogique chez H2Média, organisme de formation continue
Les situations ici prises pour exemple pour illustrer cette démarche concernent trois domaines et populations bien différents mais relativement représentatifs en termes de prévalence. Il s’agit de la chute de la personne âgée, du burn-out du cadre supérieur et de la crise d’organe aiguë chez une personne jeune. L’aidante est infirmière.
1. Observations d’une aidante pas comme les autres…
- La première situation concerne la chute dans la nuit d’une femme de 82 ans, vivant en couple. Le médecin traitant n’est pas disponible le lendemain pour visite à domicile et n’a pas de confrère à recommander. Les pompiers sont appelés par un des enfants et l’hospitalisation est requise car fracture de 4 côtes et contusions multiples. Outre une absence totale de communication sur le parcours (nouveau traitement hypocholestérolémiant mis en place sans information préalable, pas de visibilité sur la durée de l’hospitalisation), on note une sortie non préparée. Le retour au domicile se fait sans évaluation des conditions de vie (conjoint handicapé, maison isolée à plusieurs niveaux, cause de la chute, et impossibilité de conduire), ni proposition d’aide au domicile. La convalescence s’est faite grâce au soutien familial, en l’absence toutefois d’un masseur kinésithérapeute disponible pour aider à la rééducation.
- La seconde situation concerne un homme de 50 ans, en burnout consécutif à une surcharge de responsabilités au travail (crise COVID) et de problèmes familiaux connexes. La décompensation est soudaine avec apparition de troubles obsessionnels et d’une crise suicidaire non scénarisée. Les pompiers sont appelés afin d’envisager une hospitalisation d’urgence en psychiatrie. S’en suivent deux mois au sein d’une unité psychiatrique sectorisée, avec tous types de patients et un traitement sédatif extrêmement lourd. Aucune information n’est donnée sur le déroulement de ce type de parcours, car l’important semble être de contenir la crise et de le protéger. Néanmoins, cet environnement est-il adapté pour une personne en burn out ? N’y a-t-il rien d’intermédiaire entre la médecine somatique et la psychiatrie, qui s’adapterait davantage à un projet de vie ? De l’avis du patient : « il a eu l’impression de toucher le fond » et se demande ce jour si la solution était cette hospitalisation non sélective dans cette unité, avec un personnel soignant qui répond toujours de façon très aimable mais qui ne semble « pas au courant », quelle que soit la question posée. La sortie s’est opérée alors que le patient est encore en fragilité et toujours sous traitement, donc avec nécessité d’un soutien familial constant. Les aidants familiaux sont-ils en capacité d’assumer cette responsabilité ?
- La troisième situation concerne une jeune femme de 28 ans, en fortes douleurs abdominales. Le médecin traitant n’étant pas disponible ni les maisons médicales environnantes, le recours aux urgences d’un CH est choisi. Quatre heures plus tard elle ressort avec un premier diagnostic de colites néphrétiques et une prescription d’échographie à faire en ville ainsi qu’un traitement antalgique. Personne ne lui a proposé un verre d’eau durant ces 4 heures, en pleine canicule. À 20h nouvelle crise à domicile. Sans tergiverser elle appelle des pompiers qui la ramènent au SAU. La prise en charge est très rapide suivie d’une sortie aussi rapide : “de toutes façons on ne fera rien de plus ce soir, prenez vos cachets et attendez demain”. Pas d’imagerie la nuit dans un grand hôpital.
Trouver un cabinet acceptant de faire une échographie au mois de juillet est complexe, et le premier rendez vous est 5 jours plus tard. Le rein est en souffrance. Grâce à un outil de rendez-vous en ligne un néphrologue disponible est trouvé pour la semaine suivante. Il décide de l’opérer dès le lendemain, avec pose d’une sonde double J. Quinze jours plus tard une hyperthermie sur douleurs intenses survient et elle tente trois SAU qui sont saturés (40 personnes en attente). Elle est finalement hospitalisée pour pyélonéphrite puis réopérée la semaine suivante pour l’ablation du calcul. Pour la quatrième fois en 1 mois elle entend : « vous avez failli perdre votre rein !».
2. Pour un système de santé plus intégré au bénéfice du patient et de ses accompagnants
- L’accès aux soins : Au-delà de la désertification médicale, on note : un manque de fléchage et d’indications sur les possibilités de parcours, des difficultés d’accès pour les soins non programmés, un manque évident de moyens en personnel et en infrastructures, des conditions d’accueil minimalistes. Lors d’un problème de santé aigu, il n’y a comme alternative que les urgences de l’hôpital, y compris dans une grande ville. Les maisons d’accueil d’urgences n’ont pas a priori de plateaux techniques, les cabinets privés ne prennent pas les urgences, ou rarement et s’il existe des permanences de soins, le grand public n’en est pas informé. De nombreuses initiatives fleurissent pour décloisonner, permettre des montées en compétences, autoriser des délégations d’activités ou des financements portant sur de l’innovation organisationnelle, sachant que le système actuel est à porte d’entrée exclusivement médicale. Malgré de timides avancées, on constate encore très peu de situations permettant à des infirmiers d’être positionnés sur du premier recours. Ce serait sans doute une des pistes majeures permettant d’épargner la ressource médicale, sur une première approche du patient, un « triage » avec une marge décisionnelle conséquente, hors diagnostic, en particulier par des infirmiers en pratique avancée.
L’organisation pour l’accès aux soins peut être efficiente si l’on s’appuie sur les structures existantes et les CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé) qui sont chargées de coordonner toutes ces ressources. Prenons le cas de la personne âgée. À la suite d’une chute, elle passe souvent plusieurs heures aux urgences puis dans une unité de soins pas toujours adaptée. Considérons un réaménagement du territoire en dotant certains EHPAD, sur un mode de volontariat, qui seraient habilités à recevoir les urgences gériatriques, avec mise à disposition de quelques lits de court séjour, en attendant une orientation. Combien de personnes âgées se retrouvent aux urgences pour déshydratation ou décompensation, alors que la prise en charge n’est pas uniquement médicale ? Un établissement spécialisé qui aurait la capacité d’accueillir ces personnes avec toute l’équipe formée, du médecin au médicosocial, permettrait une réduction considérable des décompensations post hospitalisation. Il est question d’un changement de paradigme, mais il est indispensable de nos jours pour avancer et répondre aux besoins en santé de la population. L’idée peut se décliner sur le soin primaire ou autres spécificités médicales.
- L’information : moults initiatives sont développées depuis plusieurs années pour permettre et appuyer l’exercice coordonné. Mais comment l’usager lambda, peut-il accéder à cette information ? Une des pistes serait de travailler sur des campagnes d’information du public, avec des numéros simples à retenir, des points d’accroche, des slogans. Il semble important de prendre en compte le bénéficiaire pour communiquer auprès de lui, en fonction de ses attentes et de ses besoins. La cartographie des offres de soins sur un territoire reste encore confidentielle, cette information n’arrive pas jusque chez l’usager, qui préfère tout naturellement utiliser des plateformes de prises de rendez-vous en ligne ou les accueils des urgences, qui répondent rapidement et globalement à son besoin immédiat.
- Le parcours patient : il peut être difficile pour patients et proches d’accepter, en situation d’inquiétude et de douleur, une absence de communication et de prise en compte des questions. Certes les professionnels connaissent leur travail et œuvrent au mieux avec les ressources dont ils disposent, ceci n’est pas remis en cause, mais ne peut-on envisager de prendre en compte un minimum de confort pour permettre d’alléger l’attente et la souffrance ? Des salles d’attentes conviviales, une fontaine à eau, des toilettes accessibles, cela semble un minimum et permettrait sans doute de désamorcer certaines situations de violence, souvent majorées par l’attente.
On note au travers de ces 3 retours d’expériences des difficultés évidentes dans l’accès aux soins et la conduite d’un parcours sécurisant. Des initiatives sont mises en place et doivent être poursuivies pour décloisonner et permettre une bonne information des usagers sur les possibilités offertes par leur système de santé
Note aux lecteurs : cet article est publié avec l’accord des protagonistes, qui y ont retrouvé les difficultés ressenties et les problématiques relevées, à sa lecture.