Renouveler la gouvernance interne de l’hôpital passe par une véritable reconnaissance des cadres hospitaliers, pour soutenir les collectifs de travail et contribuer à l’orientation des décisions de l’établissement.
Chantal de Singly, directrice d’hôpital de formation, a notamment été directrice de l’institut du management (EHESP), directrice générale de l’ARS Océan indien et directrice de cabinet de l’ancienne ministre des Sports, Laura Flessel.
Le rapport Claris sur « la gouvernance et la simplification hospitalière » ouvre des perspectives sur le rôle managérial des médecins, la place de la CME, le binôme directeur/président de CME, mais il est trop discret sur les cadres hospitaliers. Dans les 56 propositions de ce rapport, 2 seulement évoquent les cadres. L’une affiche la nécessité d’un binôme chef de service/cadre de santé, avec la participation du chef de service à l’affectation du cadre de santé ce qui paraît quelque peu contradictoire avec une notion de binôme ! L’autre demande la généralisation d’une conférence des trios de pôles mais réduite à une assemblée annuelle, ce qui limite nécessairement sa portée sur la conduite de l’établissement. C’est bien peu alors que le rapport évoque lui-même le fait que les cadres sont mieux préparés que les médecins au management et que les cadres ont répondu à l’enquête lancée par la mission Claris. Nulle place donc pour les cadres dans la stratégie et dans la remontée du terrain par une logique bottom/up. C’est cela qu’il faut changer aussi.
Une délégation de gestion formelle, peu de marges de manœuvre
Si le positionnement d’un médecin à la direction générale de l’hôpital permet d’afficher la raison d’être de l’hôpital, soigner, au plus haut niveau de son organisation, il ne modifie pas nécessairement l’ensemble de l’organisation hospitalière. Ce n’est qu’un pas pour sortir d’un triple cloisonnement hiérarchique : médical, paramédical et gestionnaire, et pour libérer les capacités d’initiatives des équipes de travail. Il s’agit de donner de véritables marges de manœuvre au plus près des patients, pour répondre à leurs besoins et mobiliser les ressources adaptées. Il s’agit de cultiver l’intelligence collective en écoutant ce qui se dit et se joue au plus près des soins. C’est un enjeu de qualité de soins, de qualité de vie au travail et de performance. Pour réussir cette adaptation qui permet « le juste soin au bon moment », il faut s’appuyer sur les cadres, proches de leurs équipes, proches des patients, au fait des règles et bonnes pratiques et donc en mesure de produire les arbitrages nécessaires.
Mais enfermé dans un moule juridique contraignant, l’hôpital public ne parvient pas à donner aux cadres une réelle autonomie d’action. Il a mis en place des pôles avec force textes, protocoles, procédures sans à aller jusqu’au bout d’une véritable délégation de gestion. Alors que les chefs de pôle sont entourés de cadres supérieurs de santé et de cadres de gestion sélectionnés, formés, alors qu’ils signent des contrats de pôle avec les directions générales, alors qu’ils font du reporting, ils ont finalement très peu de marges d’action, et leurs cadres encore moins. Le contrat de pôle apparaît plus comme un document administratif que comme un contrat de confiance pour soigner. Au sein des pôles, les cadres ont des responsabilités très limitées à l’égard de leurs équipes : ils ne les recrutent pas (ou très rarement), ils ont peu d’action sur leur formation ou leur parcours professionnel, ils n’ont pas de moyens de les valoriser.
Des cadres hospitaliers peu responsabilisés
Il y a dix ans la mission « cadres hospitaliers », mise en place par Roselyne Bachelot, avait fait un tour de France des attentes pour ces cadres et relever les initiatives menées dans différents établissements pour soutenir le développement de l’encadrement. Elle soulignait le gaspillage d’énergie avec des cadres peu responsabilisés, peu reconnus malgré leurs formations, leurs compétences et leur disponibilité. Elle faisait des propositions concrètes pour changer les choses. Certaines ont vu le jour, par exemple sur des statuts, des régimes indemnitaires. Mais les changements managériaux suggérés n’ont pas été portés au plus haut niveau de l’Etat. Ils ont été laissés à la bonne volonté des directeurs et des présidents de CME. Et aujourd’hui encore, alors que le malaise de l’hôpital public est largement débattu, la place et l’action des cadres demeurent dans l’ombre. Ils ne participent ni à la CME, ni au directoire, ni au comité de direction où se discutent la stratégie et les projets. Le rapport Claris lui-même évoque à peine le point de vue des cadres et surtout ne propose rien pour changer.
Malgré tout les cadres restent mobilisés et prêts à jouer pleinement leur rôle. La pandémie de Covid19 a mis en valeur cette disponibilité. Ce sont les cadres de santé, les attachés d’administration et les cadres techniques qui ont réussi des tours de force pour doubler ou tripler des capacités de réanimation, armer de nouveaux services, organiser des transferts de patients d’un bout à l’autre du pays. Ce sont eux, soutenus par les directeurs et les médecins qui ont été en première ligne pour modifier les circuits des patients, renforcer les équipes de soins et les réorganiser.
Développer une culture de trios médecin chef/cadres de santé/cadres de gestion
Il est donc temps de changer de cap en confiant à des trinômes, de services, de pôles et d’hôpital, la responsabilité managériale garantissant le lien entre les trois à tous les niveaux de l’organisation :
- En donnant aux trios, médecin, cadre de santé et cadre de gestion, toute la délégation nécessaire pour qu’ils disposent des marges de manœuvre au sein des services et des pôles. Les trios de services et de pôles doivent se voir confier pleinement la responsabilité du bon fonctionnement de leurs équipes avec un objectif de mobilisation au plus près du terrain des collectifs de travail. Cela implique une large délégation de gestion aux pôles avec des objectifs de quantité et qualité de soins et avec des engagements d’organisation interne au sein du pôle, reposant sur la responsabilité et l’autonomie des équipes des services. Ces trios doivent aussi être repérés comme des acteurs responsables au sein des territoires avec les partenaires externes. Les démarches d’innovation doivent être encouragées dans une relation de confiance enfin installée.
- En donnant pleinement au trio de pôle une place dans le pilotage stratégique de l’établissement, sous forme d’une conférence des trios de pôle, véritable lieu de partage et de décision qui se réunit au moins une fois par trimestre. L’établissement doit fonder son management stratégique sur la conférence des trios de pôle, réunion de trios qui s’accordent sur les priorités stratégiques, font remonter les questions du terrain impliquant des arbitrages généraux pour l’établissement, font évoluer le management de l’établissement en favorisant les actions transversales, les coopérations internes et externes. Cette dynamique croisée de l’encadrement médical, paramédical et administratif permet de sortir des cloisonnements professionnels en centrant toutes les équipes sur les soins aux personnes accueillies. Elle permet aussi de porter collégialement une vision de la santé du territoire en situant l’hôpital sur cette responsabilité populationnelle de santé.
- Avec un directoire porteur des toutes les dimensions de l’hôpital
Concrètement ?
Il faut peu de textes pour mettre en place cette organisation. Il faut d’abord une réelle volonté de délégation de gestion aux équipes soignantes qui devrait aller de pair avec la création d’un binôme médecin/directeur à la direction générale. Il faut des trios de pôles prêts eux-mêmes à faire confiance et à déléguer aux services. Il faut un soutien affiché au niveau national sans pour autant enfermer tous les établissements dans le même modèle de fonctionnement. Du niveau national il faut obtenir d’alléger des procédures pour retrouver du temps, du temps pour écouter, du temps pour partager, du temps pour construire ensemble. Le « Ségur de la Santé » a affiché cette ambition de simplifier les procédures et les organisations. Il est urgent de libérer les capacités d’agir avec des cadres en pleine responsabilité.
Bravo pour ces propositions!
Comme vous le dites, il suffit juste de le vouloir puisque certains l’ont déjà mis en place, notamment au CH de Valenciennes.
Argumentaire ” à trois’ ( cadre du service/cadre de pôle / chef de service) pour ” garder” un AS au circuit covid : pas de réponse.
J apprends ce jour qu on le vire au 1er Août.
Alors OUI et Archi- OUI à unenouvelle gouvernance .
Merci pour ce plaidoyé pour les cadres. L’ANCIM a ete interrogé par la mission Olivier Claris mais peut être n’avons nous pas assez insisté sur tous ces apects. Le Segur s’est passé sans représentation des cadres de santé malgré nos demandes interactives…..
Cordialement
Merci Chantal de Singly. Les cadres et cadres sup de santé ont une connaissance fines du terrain, des organisations, des besoins des patients, des compétences des soignants. Ils sont à même de contribuer à construire des projets, savoir ce qui va fonctionner, les écueils à éviter. Trop souvent nous avons pu voir le gachis lorsqu’ils n’ont pas été écoutés. Et comme vous l’écrivez, l’épisode COVID a bien montré leur capacité à réagir de façon efficace.
Ils ne veulent pas Le pouvoir mais PARTICIPER et non plus simplement exécuter.
Proposition d’autant plus interessante qu’elle abandonne la pratique hiérarchique stricte et verticale au profit de la transversalité et du pouvoir à trois les escabeaux connaissent bien
ceci dit il manque l’essentiel : où le patient se place t il ? je prefere une chaise à un escabeau
Entièrement d’accord. Allons jusqu’au bout de la réflexion en proposant :
– un trinôme de gouvernance institutionnel administrativo-médico-soignant avec DG-PCME-Coordonnateur Général des Soins
– une recomposition du Directoire avec un tiers de directeurs, un tiers de médecins et un tiers de soignants (intégrant un représentant du collège des cadres des santé de la CSIRMT)