Un des quatre piliers du Ségur de la santé, annoncé par le Premier Ministre Edouard Philippe, est « l’organisation territoriale ». L’épisode du Covid l’a démontré, il faut organiser en situation de crise l’offre de soins au plus près des besoins de la population. Au delà de ces situations de crise, nous avons besoin d’une gouvernance territoriale et d’un projet partagé de territoire rassemblant tous les acteurs de la santé.
Jacqueline Hubert est directeur d’hôpital en disponibilité dans un groupe de cliniques privées.
Lorsque l’on parle territoire, à quoi fait-on référence ?
À la région ? Au département ? Au territoire du groupement hospitalier de territoire ?
La loi de janvier 2016 a créé les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) qui correspondent à l’organisation de l’offre publique sur un territoire de santé. Tous les établissements publics sont de par la Loi obligatoirement « partie » au GHT.
Pour autant, dès 2016, il était prévu que les établissements privés à but non lucratif puissent être « associés » au GHT et que les établissements privés commerciaux puissent en être « partenaires », ceci afin de créer des parcours de soins cohérents. Il n’était effectivement pas dans l’intention du législateur de drainer les patients du public vers l’établissement pivot du GHT, au motif de créer des parcours « tout public », mais bien de jouer la cohérence du territoire en adressant ce patient à un établissement privé, si celui-ci présentait une offre complémentaire. Ceci étant, on a vu dans la pratique que cette cohérence territoriale n’a pas toujours été mise en œuvre !
La médecine de ville devait aussi être associée au GHT au travers du projet médical partagé, pierre angulaire et raison d’être du dispositif.
Alors, pourquoi en 2016 ne pas avoir dit qu’un GHT était sur un territoire de santé le regroupement du public, du privé, de la médecine de ville et du médico-social ? Il est aisé de réécrire l’histoire a posteriori, même s’il s’agit d’une histoire récente : un peu plus de 4 ans !
En effet, rappelons-nous ce qui s’est passé entre 2004 et 2016, si on ne veut pas remonter plus loin. Depuis la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) pour les activités hospitalières de court séjour, les hôpitaux publics se livraient entre eux à une concurrence effrénée. Les maigres collaborations publiques se faisaient parfois sur la mise en commun de services logistiques (cuisine et blanchisserie), mais rarement sur des temps médicaux partagés ou sur des activités médicales graduées.
Le territoire du GHT a ainsi dû être défini en 2016 par les ARS en 6 mois « en conformité avec le schéma régional en vigueur ». Si 1/3 des territoires de ces GHT correspondent au département, les 2/3 ont des périmètres infra-départemental ou supra-départemental. Les critères qui ont alors prévalu ont été le plus souvent la prise en charge d’une population par une équipe médicale partagée.
La crise du covid du printemps à peine terminée, il est indispensable de se pencher dans les meilleurs délais sur une organisation territoriale pertinente.
Cette organisation territoriale permettrait d’affronter si nécessaire une seconde vague covid ou une autre pandémie. Elle permettrait simplement de proposer une offre de soins complète et cohérente à la population.
Que s’est-il passé durant cette crise sur les territoires fortement impactés qu’ont été l’Ile-de-France et l’Est de la France ?
De belle histoires ont été racontées même s’il n’est pas possible à ce jour d’avoir une vue exhaustive de ce qui s’est passé au plan national. Certains territoires ont pleinement joué la complémentarité privé/public, cela s’est vu en Ile-de-France où des lits de réanimation ont été ouverts dans l’urgence dans les 2 secteurs, cela s’est vu dans le territoire de Mulhouse où le GHT s’est félicité de la solidarité du privé dans la gestion de la crise.
Peut-être pourtant aurait-il parfois été possible de faire mieux. Le dialogue entre les structures de soins aurait pu être plus constructif et la collaboration meilleure sur certains territoires. Aussi, afin que ce type de situation ne se reproduise plus, il faut que la question ne se pose simplement plus.
Alors, que faut-il faire ?
Une solution serait de terminer ce qui n’était pas possible en 2016 et d’embarquer tous les acteurs de santé de façon cohérente sur un territoire.
L’Agence Régionale de Santé (ARS) doit demeurer le grand organisateur du territoire, garant de l’égalité des soins dans la région, garant de l’application des politiques nationales. Les collectivités territoriales doivent y être mieux représentées, la Région en premier lieu.
Quel doit être le contour des territoires ? Le département ? Le GHT ? D’aucuns pensent que le GHT est trop connoté public. Pour autant, faut-il revenir au département alors que celui-ci n’avait pas toujours paru judicieux aux ARS en 2016 ? En effet, rappelons-nous, le département c’est la journée de cheval pour atteindre la préfecture de 1790. Quel sens pour la santé en 2020 ?
Les GHT publics commencent à être efficacement organisés, n’alourdissons pas les choses en changeant les périmètres et en obligeant le GHT à participer à plusieurs territoires.
Il faudrait que chaque ARS fasse le bilan par territoire de la crise Covid : ce qui a fonctionné, ce qui a été défaillant, les manques, les doublons entre le public et le privé. Ce bilan fait, il faudrait bâtir des plans cibles d’équipements afin de disposer d’un plateau technique complet et cohérent par territoire. Les éventuels compléments doivent concerner tant le public que le privé. Des capacités en lits supplémentaires doivent être prévues et organisées, en cas de pandémie, mais aussi simplement pour faire face aux crises récurrentes comme celle de la grippe saisonnière. Il est nécessaire de définir par territoire, une certaine plasticité capacitaire.
Pour autant, n’ouvrons pas de lits supplémentaires. On n’a pas manqué de lits d’hospitalisation durant la crise Covid, on a seulement manqué de lits de réanimation ! Ce à quoi on a remédié en armant dans l’urgence des lits de surveillance continue ou des lits de réveil. Mais beaucoup de nos lits d’hospitalisation étaient vides du fait de l’arrêt de l’activité programmée et aussi du fait de la réticence des patients à se faire soigner dans ce contexte pandémique.
N’investissons pas dans des bâtiments, onéreux et vite obsolètes en raison de l’évolution des prises en charge. Investissons massivement dans le digital ! Suivons nos patients à domicile via des plateformes de télé-suivi, cela s’est fait pour le Covid, cela peut aussi se faire pour la plupart des maladies chroniques. Rendons nos différents systèmes d’information interopérables afin que les acteurs puissent échanger aisément.
Donnons aux territoires la possibilité d’innover en leur laissant par exemple la possibilité d’organiser des parcours publics/privés/médecine de ville pour, en particulier, la prise en charge des pathologies chroniques au moyen de financements de type « bundled » qui pourraient être répartis entre les différents acteurs selon des règles qu’ils auraient définies, la seule contrainte étant le respect des sommes allouées et un contrôle a posteriori de l’ARS.
Mettons en place une gouvernance efficace des territoires.
Pourrait être nommé par les ARS un binôme médecin/gestionnaire pour chaque terroire : un en provenance du public et un en provenance du privé. Ce binôme serait en charge de la mise en œuvre du projet de santé du territoire et il pourrait alterner annuellement présidence/ vice-présidence sur une durée de 4 ans, un soignant venant épauler, pour chaque territoire, ce binôme.
Une instance associant les élus locaux et les représentants de patients pourrait participer à l’élaboration du projet médical de territoire et à sa déclinaison annuelle. Elle serait en particulier en charge de la lutte contre les déserts médicaux.
Faisons de cette crise covid qui était inimaginable et donc mal anticipée, une occasion de transformer le système de santé que beaucoup se plaisaient à qualifier « d’à bout de souffle ».
Faisons du territoire la référence simple et compréhensible de la population. Allégeons les structures, libérons les initiatives et utilisons les technologies nombreuses qui existent !
Enfin intéressons financièrement les territoires les plus performants et demandons aux ARS de promouvoir les expériences les plus pertinentes.
En un mot faisons confiance au terrain !
Excellente analyse de ce que la crise a rendu possible dans le territoire en associant acteurs publics et acteurs privés, lucratifs ou non, autour de la prise en charge des patients, sans enjeu de concurrence ou de parts de marché
Des parcours simples et complémentaires à travers les structures et équipes en place (Covid avec ou sans Rea, SSR, liens avec le domicile, télésurveillance ou teleconsultation)