La gestion du personnel hospitalier en formation professionnelle donne lieu à de nombreuses dérives, elle est à revoir en profondeur. Trop timide, trop peu rémunérée, trop encadrée, il faut la faire changer de dimension. L’exercice d’un droit à une formation financée par l’employeur fait l’objet en pratique de beaucoup trop d’obstacles pour un droit si clairement établi par le décret qui fixe le cadre du métier infirmier. La prise en considération de la vision de l’agent vis-à-vis de son projet est un préalable indispensable. Elle nécessite une totale transparence dans les échanges avec la direction afin d’aborder en toute sérénité la formation à laquelle il accède. Ce d’autant que la vision du projet institutionnel évolue au fur et à mesure de la compréhension du champ de compétences des infirmiers en pratique avancée (IPA) par l’agent, très opaque pour beaucoup jusqu’à ce jour.
Jérémie Montauban est IDE au sein d’un pôle de gériatrie, étudiant en 2ème année de master de pratiques avancées infirmières, référent du collège universitaire de l’ANFIPA
Les jeunes diplômés doivent aujourd’hui négocier leur revenu qui ne reflète pas l’enjeu actuel des IPA. J’envoie une pensée particulière aux infirmiers libéraux qui doivent continuer leur activité tout en luttant contre les interminables démarches administratives afin d’obtenir subventions et justificatifs de toutes sortes. Le master en pratique avancée n’est qu’un début de construction identitaire universitaire des infirmiers. Il faudra soutenir totalement les infirmiers qui souhaiteront passer par cette voie (voire au-delà, jusqu’à l’écriture d’une thèse) afin de tracer une feuille de route à cette nouvelle base infirmière prometteuse.
Ils sont dorénavant environ 300 en France. Ils n’ont pour la plupart toujours pas ni leur carte professionnelle ni la capacité de pouvoir prescrire et donc d’exercer leur nouveau métier. Eux, ce sont les infirmiers en pratiques avancées.
La pratique avancée infirmière (PAI) représente plusieurs enjeux majeurs de notre système de santé : l’innovation infirmière, l’intégration des sciences infirmières et le développement de l’expertise infirmière.
La PAI est le premier type de pratique avancée paramédicale développée en France.
Entre une rémunération timide (30€ nets de plus par mois) et un rôle très encadré par la prise de décision médico-centrée, elle ne peut pas se présenter actuellement comme un acteur sérieux et autonome dans l’organigramme de la santé nationale.
Aujourd’hui, l’exécutif communique pour redonner du sens aux soins mais reste timide dans la mise en place de moyens (financier et organisationnel) qui pourraient lui donner un sens différent. Si les moyens mis en place ne se révèlent pas à la hauteur, malheureusement, un Ségur ou tout autre mesure/plan n’aura que peu d’intérêt dans le développement de la PAI.
Je suis initialement infirmier et fier de l’être. Néanmoins, la condition de ce métier barré par une application très exécutive des prescriptions médicamenteuses rend l’épanouissement professionnel très limité. La lassitude, le manque de considération dans le binôme médecin-infirmier couplé par un manque d’autonomie dans la prise de décision contraint une bonne partie de mes collègues à abandonner ou évoluer afin de prendre une place plus importante dans les prises de décisions soit par l’acquisition de compétences élargies (IADE, IPDE…) soit par un champ de prise de décision plus important (cadre de santé).
C’est à ce moment précis que la pratique avancée entre en action. Elle représente une perspective d’orientation plus variée à un degré supérieur de formation. Depuis 2 ans, ce master valorise l’expérience et offre une perspective d’impact plus important dans les prises en charge en se reposant sur les sciences infirmières qui apportent une vision différente du soin et de la santé tout en appliquant de la clinique médicale.
Sur le papier, c’est vendeur. Mais très vite, en lisant les décrets de compétence relatifs à l’exercice de l’Infirmier en Pratique Avancée (IPA), on se rend compte que cela ne représente qu’une évolution réglementaire, rien de plus. Elle est clairement nommée avec le surnom “d’auxiliaire médical”. Une fonction hyper encadrée en somme.
Le patient est dirigé par le Médecin vers l’IPA afin qu’il prenne en charge la partie demandée par le Médecin via le protocole d’organisation, terme barbare qui souligne un cadre strict d’exercice. Il s’agit sans doute d’un vision subjective, mais elle émane d’un futur IPA qui étudie les décrets et beaucoup y voient des contraintes dans le futur exercice professionnel.
Une liste d’actes, de prescriptions, sont liées à l’IPA mais manquent de sens. Par exemple, les bons de transports, les arrêts de travail, les démarches administratives d’un 100% ou encore la réadaptation de traitements spécifiques de certaines pathologies chroniques stabilisées comme la maladie de Parkinson manquent à l’appel. On a créé un décret d’exercice basé avant tout sur la notion d’acte, qu’il faut interroger.
En effet, le parcours de soins est complexe, fait intervenir beaucoup de spécialités, sans éducation adaptée, le patient devient non-observant, perdu par les nombreux conseils médicaux qui lui sont dispensés par les différents spécialistes.
Personnes âgées, personnes précaires… Ces populations fragiles se perdent dans les mailles du filet de la santé publique sans pour autant manquer de motivation. C’est l’accessibilité à un professionnel compétent (médecin généraliste ou spécialiste) dans des délais raisonnables qui alerte ou encore l’accompagnement dans le suivi régulier d’un patient. Il y est question de réagir et non de surveiller, d’anticiper les diverses rechutes auxquelles le patient peut être exposé.
Alors lorsque l’annonce d’un « Ségur » a été faite, les IPA se sont mis à rêver à de grands changements, car force est de constater que rares sont les pays où la pratique avancée est aussi étriquée qu’en France.
La première déception liée à l’absence de représentants laisse maintenant place à l’espoir : la mesure 6 parle d’une expansion et d’une facilité à mettre en place la pratique avancée. Nous attendons notre place à la table des discussions via les différentes instances. Mais il faut retenir par ces propos que l’IPA :
– ne doit plus être un auxiliaire médical, mais requiert soit la création d’une nouvelle classification spécifique dans la code de la santé (qui pourrait regrouper des métiers paramédicaux comme les masseur-kinésithérapeutes, ou encore les orthophonistes) soit d’être accepté comme professionnel habilité à l’exercice de la médecine compte tenu de la responsabilité clinique qu’il devrait obtenir via décret.
– ne doit pas être limité à un protocole restrictif quel qu’il soit dans les prises en charge des parcours patients qui leur sont attribués. La perspective de prescrire examens, traitements symptomatiques, ou encore de fournir des justificatifs tel que les bons de transports doit relever d’une autonomie pour renforcer le lien à l’intérieur de la consultation.
– doit avoir le droit de consulter, d’obtenir une tarification spécifique et une reconnaissance nécessaire à l’exercice de sa fonction.
– devrait inclure les mentions qui concernent des activités transversales globales qui sont étroitement liées aux sciences infirmières et aux enjeux de santé actuels (soins palliatifs, douleurs, gériatrie…).
Par exemple, si des infirmières puéricultrices peuvent diriger des crèches, pourquoi ne pas imaginer un rôle d’IPA gériatrique en EHPAD qui permettrait de s’occuper des suivis au long cours de résidents au lieu d’un médecin. Il serait également possible d’imaginer des IPA palliatifs qui seraient autonomes dans leur rôle de conseil auprès des équipes. Ou encore des IPA médecine d’urgence qui géreraient des urgences de faible gravité en amont pour ne rediriger vers le médecin que des cas qui relèveraient d’une urgence relative aiguë complexe ou d’une urgence vitale.
Car l’IPA n’est pas un médecin ou un remplaçant de médecin.
Nous n’avons pas la prétention ; ni la volonté de l’être. Notre rôle clinique est un œil différent lié à sa propre culture : les sciences infirmières qui reposent sur un cadre composé de la personne, l’environnement, la santé et le soin.
Des valeurs y sont nées telles que le “care” (prendre soin), la “promotion de la santé” ou encore “l’auto soin” via des théories de sciences infirmières basées sur la philosophie, la sociologie, la psychologie, soit une multitude de sciences humaines. Cette vision est complémentaire de la médecine mais pour le moment reste très peu développée en France. Lorsque les infirmiers américains mettaient en place les premières théories dans les années 50, il aura fallu attendre 2019 pour voir la création au CNU de la section sciences infirmières…. Cette donnée à elle seule montre le retard français en termes de recherche infirmière et de développement de savoirs infirmiers.
La pratique de ville est également amenée à évoluer.
L’éducation thérapeutique, la prévention, l’alliance thérapeutique, l’empowerment sont des valeurs dans l’évolution internationale de la science infirmière : elles n’existent toujours pas dans le codage d’acte libéral français.
Or ces actions font partie du quotidien professionnel infirmier avec pour objectif de faire adhérer un patient à son plan de soin. D’ailleurs ce travail de suivi porté par l’IPA dans d’autres pays a porté ses fruits car ceux qui l’ont essayé l’ont adopté. Cela a permis d’élargir leurs compétences à d’autres pathologies chroniques en tant qu’IPA généraliste et de développer toujours plus de responsabilités en tant qu’IPA spécialiste.
Il faut donc dès maintenant attribuer un rôle propre et une autonomie pour ce métier afin qu’il puisse accélérer son implantation. L’IPA a un champ si large qu’il va permettre à la profession infirmière de pouvoir se développer sur d’autres secteurs méconnus de la profession infirmière jusqu’alors :
-La formation, car avoir un professionnel formé aux sciences de sa profession peut être considéré comme un lien de compétence avec l’université et va permettre à des infirmiers d’enseigner pour transmettre leur expérience et leur expertise clinique. D’ailleurs la dualité de reconnaissance du master de PAI entre la santé et l’enseignement supérieur sous-entend un lien inédit pour les infirmiers.
– La recherche, qui représente un enjeu sous-estimé mais pourtant majeur dans le devenir de la profession infirmière en France. L’infirmière a aujourd’hui peu de place et de temps à consacrer à la possibilité de prouver scientifiquement, méthodologiquement son empreinte dans la santé. L’intérêt est majeur pour améliorer les pratiques et faire évoluer sa vision. Des infirmiers sont déjà docteur dans divers domaines : en santé publique ou en sciences de l’éducation, ce qui représente déjà un grand pas. Dès lors que l’on verra apparaître des docteurs de leur spécialité initiale, à savoir les sciences infirmières, résultera une remise en question constante afin d’obtenir une maturité qui impactera positivement l’aura de la profession dans la santé française.
Pour cela, il faudra que les hôpitaux (CHU, GHT…) investissent et laissent ces IPA se former ou que les instances subventionnent les libéraux qui le souhaitent car il faut impulser une dynamique nouvelle.
Enfin, un point très important consiste en la singularité et la responsabilité de chaque spécialité infirmière. Et elles méritent d’être toutes reconnues à leur juste valeur. De même que les DU qui ne sont toujours pas reconnus financièrement par les employeurs. Depuis 2018, la PA est une nouveauté qui entrouvre la possibilité de créer une consultation infirmière reconnue. Cet enjeu fascine les infirmiers et même les invite à se sublimer. C’est dans ces conditions que l’on peut apercevoir que le leadership infirmier est une valeur sous-estimée. Ces personnes veulent faire bouger les choses et aider cette profession à se développer pour le bien des patients.
Ce métier demandera détermination, ambition et réflexion mais montre que les infirmiers prétendent à plus de prise de position, de décisions. Je crois en ces IPA qui représentent, quels que soient leurs lieux d’exercice, un nouveau souffle dans le parcours de soins complexe d’un patient.
Il faut être ambitieux et encourager leur détermination via le rôle et la rémunération, mais également avoir du courage pour braver les a priori et soutenir les missions qui les attendent. C’est à ces conditions que l’on pourra permettre à la pratique avancée d’aiguiser l’intérêt des autres paramédicaux afin de constituer progressivement un corpus de PA qui transformerait la santé telle qu’on l’applique aujourd’hui.
” soit d’être accepté comme professionnel habilité à l’exercice de la médecine compte tenu de la responsabilité clinique qu’il devrait obtenir via décret”.
“doit avoir le droit de consulter, d’obtenir une tarification spécifique et une reconnaissance nécessaire à l’exercice de sa fonction”.
Une des solutions imaginées par les politiques à la pénurie des médecins généralistes est l’invention de “l’assistant” du médecin dont la fonction serait purement administrative . Ceci pour permettre au médecin de pouvoir passer d’un rythme de 4 patients à l’heure à 6 .
La solution exposée par notre collègue infirmier, et qui est déjà en vigueur dans d’autres pays ( aux pratiques avancées , Canada, Espagne avec les practicantes) ne parait pas avoir retenu l’attention des nos politiques . Devons nous y lire l’action de lobbys puissants , les mêmes que ceux qui s’étaient opposés à l’accession de la Médecine Générale à la reconnaissance universitaire et à une égalité de considération que les Spécialités d’Organe ?
Je suis satisfait de lire que ce travail pour la reconnaissance des capacités de prise en charge de type “organe , personne , environnement ” des infirmiers commence à s’écrire . Mais cela reste encore trop confidentiel, obturé par ce signifiant d’IPA , ou le terme de “pratique avancée” est connoté de couleur militaire : ceux qui vont au front , et qui ne sont que rarement les officiers supérieurs.
Félicitations à j’espère un futur Docteur Montauban .
Merci Mr Montauban pour cet article si complet sur ce que peut apporter ce nouveau métier.
Les IDE ont déjà un rôle propre, plusieurs autres paramédicaux ont déjà une autonomie importante dans l’exercice quotidien, et nous sommes toujours désignés par Le terme d’auxiliaires médicaux dans les textes législatifs. C’est la préhistoire.
La création des IPA est une avancée majeure que la profession attendait depuis longtemps.
Mais quelle déception lorsque nous avons constaté la timidité des textes et des modalités d’exercice. Il y a encore tant de chemin à faire.
Je ne doute pas que des professionnels comme vous contribueront à faire reconnaître la plus value de la clinique infirmière, dans les textes et par la rémunération.