Alors que la France accuse un certain retard en matière de prise en charge ambulatoire, il est proposé de compléter le maillage hospitalier actuel de centres autonomes de chirurgie ambulatoire, pour des actes légers avec une surveillance post-opératoire courte, dans un double objectif d’amélioration de la qualité et de la sécurité et des soins.
Antoine Georges-Picot est directeur et Camille Renault est consultante senior d’un cabinet de conseil intervenant auprès des acteurs de la santé
Notre système de santé reste encore très centré sur les établissements de soins (les soins hospitaliers représentent 46% des dépenses de santé pour 37% au Danemark). Les dernières réformes en cours valorisent de plus en plus en plus en plus la notion de parcours, reposant sur deux leviers :
- Un meilleur recours aux « soins primaires » : celui-ci se reflète désormais dans la participation des soins de ville à la croissance de la consommation de soins et biens médicaux qui, depuis 2018 en sont devenus les premiers contributeurs (DREES, les dépenses de santé en 2018) ;
- Le virage ambulatoire : le nombre de places en hospitalisation partielle est ainsi passé de 72 000 à 77 000 entre 2013 et 2018 (SAE Diffusion).
S’il est encadré de manière à garantir la délivrance des meilleurs soins, le virage ambulatoire contribue à l’amélioration du confort du patient (taux de satisfaction supérieur à 90% selon le rapport « Ensemble pour le développement de la chirurgie ambulatoire » de l’ANAP et de l’HAS publié en 2012) tout en réduisant les coûts pour l’assurance maladie. Cette politique a cependant pu être assimilée à une simple volonté de réduction du nombre de lits à l’hôpital. De fait, sur la seule période 2013-2018, le nombre de lits d’hospitalisation complète a ainsi été réduit de 17 000 lits soit 4% du total des lits MCO (SAE Diffusion).
En réalité, le virage ambulatoire constitue un changement de paradigme de notre politique de santé en ce qu’elle impliquera nécessairement une coordination étroite de la médecine de ville et de la médecine hospitalière tout au long du parcours patient (voir à cet effet Les fondements du virage ambulatoire, MP. Planel et F.Varnier). Dès lors que le virage ambulatoire inclut à la fois les équipes de soins primaires et l’ensemble des établissements hospitaliers, médico-sociaux et sociaux, il devient alors un levier indispensable à la mise en place en place d’un parcours de soins adapté aux défis de demain.
Un levier essentiel : autoriser et généraliser les centres autonomes de chirurgie ambulatoire
La France accuse un retard certain en matière de prise en charge ambulatoire par rapport à d’autres pays de l’OCDE : alors que 55% des prises en charge chirurgicales étaient ambulatoires en France en 2019 (PMSI), des pays comme le Danemark et la Suède approchent ou dépassent les 90%.
Ce constat peut être mis en relation avec les 4 modes d’organisations existant au sein de l’OCDE pour la chirurgie ambulatoire :
- Les centres intégrés disposant d’un bloc opératoire partagé avec l’hospitalisation conventionnelle : ceux-ci représentent la très grande majorité des organisations retenues en France et ont été décrits par l’Assurance Maladie comme un frein pour le développement de la chirurgie ambulatoire, la démarche de ces centres s’inscrivant souvent dans une logique de mise aux normes et non de conception innovante de structure centrée sur le patient et privilégiant la gestion des flux ;
- Les centres autonomes situés dans l’enceinte de l’établissement hospitalier avec un bloc ambulatoire dédié, fermé la nuit et le week-end. Ce modèle est surtout retenu pour la transformation de centres intégrés recherchant une meilleure maîtrise des flux.
- Les centres satellites situés à proximité immédiate de l’hôpital, le plus souvent attenants au bâtiment principal. La démarche y est similaire à celle des centres autonomes si ce n’est qu’il s’agit en général de structures neuves et non de restructurations.
- Les Centres Autonomes de Chirurgie Ambulatoire (Ambulatory Surgery Centers, ASC) : centres indépendants, à distance de l’hôpital avec lequel une convention de recours est formalisée. Ces centres sont majoritaires dans de nombreux pays de l’OCDE, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, en Australie et aux Etats-Unis, mais ne représentent que 5% de l’activité en France. En cause, une législation restrictive qui interdit depuis 1992 (à quelques exceptions près) la création de ce type de centres : seule la transformation d’un hôpital ou clinique en ASC est autorisée.
Ces ASC présentent des avantages essentiels pour le développement de la chirurgie ambulatoire :
- Amélioration de l’accès aux soinset réponse à une demande de la population de prise en charge de proximité moins stigmatisante qu’à l’hôpital. Dans le contexte du développement des pathologies du vieillissement pour lesquelles le traitement est en partie chirurgical (traitement des insuffisances veineuses chroniques, ou des cataractes par exemple) et le renoncement aux soins élevé, faute d’offre de soins abordable et de réticence à se rendre à l’hôpital, le déploiement de ce type de centres, s’ils sont clairement identifiés, pourrait constituer un élément de réponse à des problèmes récurrents de santé publique ;
- Efficience organisationnelle et qualité de la prise en charge: la séparation des flux de chirurgie ambulatoire programmée des flux conventionnels et non-programmés améliore la productivité globale et l’articulation de l’unité de chirurgie ambulatoire avec le reste du bloc opératoire, en les isolant des flux potentiellement désorganisateurs des autres modes de prise en charge (à cet effet, voir la recommandation HAS-ANAP « Ensemble pour le développement de la chirurgie ambulatoire »). Cela est d’autant plus vrai dans les centres où l’ensemble du parcours de soins est centralisé, depuis la prise de RDV initiale jusqu’au suivi post-opératoire, et pour des interventions avec une surveillance post-opératoire courte. Ceci facilite la réalisation d’une planification rationalisée, facteur de réduction des délais d’attente et de meilleur suivi des patients ;
- Amélioration de la sécurité des soins: si la dynamique de la chirurgie ambulatoire dans son ensemble est notamment portée par la volonté d’exposer le moins possible les patients au risque d’infection nosocomiale, le contexte récent lié au Covid-19 a d’autant plus mis en évidence l’importance des circuits séparés. Il peut à ce titre être relevé que l’existence de ces centres indépendants aurait pu permettre de maintenir une partie de l’activité programmée pendant le pic épidémique.
- Efficience économique: par l’optimisation des processus organisationnels, la spécialisation de plateaux techniques plus légers et adaptés au risque, ce type de structures doit pouvoir générer des économies par rapport à une UCA partageant le bloc opératoire avec le reste de l’hôpital. Les coûts d’acquisition sont par ailleurs les plus faibles et les coûts de fonctionnement plus facilement maîtrisables.
En conséquence, notre conviction est que l’essor de la chirurgie ambulatoire est lié à la capacité de mise en place de circuits organisationnels, en complément des blocs actuels et pour des actes qui s’y prêtent, distincts de l’hospitalisation conventionnelle, depuis la prise de rendez-vous jusqu’au bloc opératoire et au suivi post-opératoire. La mise en place de ce type de structures pourrait être facilitée par l’autorisation de centres autonomes de chirurgie ambulatoire comme cela est déjà répandu dans plusieurs pays de l’OCDE. Certaines innovations développées à l’étranger depuis plusieurs années comme le Surgicube par exemple (qui commence à être testé en France à la Fondation Rothschild) montre que les opportunités d’améliorations sont importantes.
Sécuriser la mise en place de ces centres et les intégrer dans le maillage territorial existant
Ce type de centre, qui interviendrait pour des chirurgies programmées courtes, avec une surveillance post-opératoire courte, pourrait prendre deux formes juridiques alternatives :
- Disposer d’une existence autonome avec un Finess juridique propre
- Être juridiquement rattaché à l’établissement de santé de recours tout en disposant d’un Finess géographique distinct du fait de l’éloignement géographique du site central.
- Rattacher le centre ambulatoire à un centre de santé disposant d’un Finess et autoriser la chirurgie ambulatoire et l’hospitalisation de jour dans les activités de ce centre
Quelle que soit la forme juridique retenue, il est indispensable de sécuriser la prise en charge des patients du centre en formalisant les conditions d’accès selon une échelle de risques associés des patients, d’encadrer et de contractualiser le recours au SAMU et transporteurs sanitaires ainsi que l’accès au service de réanimation de l’établissement de santé de recours.
Le choix du recours à l’un de ces dispositifs dépend également de la capacité de mobilisation des médecins porteurs de la structure : ce type de centre s’inscrit en effet dans une logique entrepreneuriale qui doit pouvoir émerger de l’hôpital comme de la ville et dépasser les logiques de cloisonnement. Et il s’agira pour cela de réfléchir à des modes de financement nouveaux et attractifs pour les porteurs médicaux.
Dans tous les cas, ce dispositif juridique n’a de sens que dans le contexte d’une articulation territoriale globale avec les maisons de santé du territoire, la CPTS et l’établissement de santé de référence notamment parce que la mise en place de ces structures soulève la question des modalités d’adressage. Sans cette coordination, le risque est en effet de voir se présenter des patients non adaptés au centre, en nombre insuffisant, et d’avoir une répartition de ces structures déconnectée des besoins du territoire. Dans un premier temps, l’implantation dans le maillage territorial se traduirait par un adressage depuis la médecine de ville. On pourrait également imaginer, en particulier lorsque le projet régional de santé a mis en évidence une carence de l’offre de soins sur une pathologie donnée, l’adossement de ces structures à des centres de santé, avec un niveau de spécialisation adapté. Le parcours patient serait articulé afin que le centre de santé devienne un adresseur direct et privilégié du centre de chirurgie ambulatoire. La faisabilité de ce type d’organisation repose toutefois sur le défi de l’interfaçage des logiciels métiers et des dossiers patients, et la mise en place d’outils numériques de coordination entre les différents acteurs.
Cette évolution ne se limitera pas au volet chirurgical puisqu’il existe également en médecine des formes d’organisations plus proches et plus souples pour assurer la prise en charge dans la durée des pathologies chroniques comme l’insuffisance cardiaque ou le diabète.
La constitution d’une structure autonome de chirurgie ambulatoire nécessite une masse critique d’activité importante pour viabiliser la structure.
De très nombreux établissements de santé ne sont pas en capacité d’atteindre cette activité et fonctionnent bien avec une petite UCA voire une unité ambulatoire médico-chirurgicale.
“Industrialiser”, isoler et centraliser les prises en charge ambulatoires pourrait comporter le risque de séparer deux modes de prise en charge qui, dans leur esprit, ne doivent faire qu’un : “Pas une heure de plus que nécessaire pour mon malade à l’hôpital”. Et de provoquer des réactions rétractiles de communautés médicales craignant de perdre leur patientèle ?