L’art de l’auto-flagellation est un art décidément bien français. Alors même que le système hospitalier au sens large (y inclus cliniques et hôpitaux privés non lucratifs) a héroïquement résisté à la première vague de l’épidémie de COVID19, l’heure est déjà à la recherche des bouc émissaires d’une organisation sanitaire défaillante qui n’aurait résisté que par l’héroïsme de quelques-uns envers et contre une organisation administrative incapable, débordée par la situation, et un mode de tarification néolibéral injuste qui aurait mis à plat l’ensemble des établissements de santé au cours de ses deux décennies d’existence.
Guillaume Le Henanff est directeur général adjoint de l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild
Au risque de céder à la caricature, il est assez contradictoire de voir dénoncer de concert une tarification à l’activité médicale décrite comme néolibérale et le poids d’une administration prétendument déconnectée des réalités du terrain et d’en appeler dans un même mouvement assez paradoxal au retour de la bonne vieille « dotation globale », incarnation parfaite de l’archaïsme administratif et garantie certaine d’une inadéquation entre les besoins exprimés et les moyens attribués sur le terrain.
S’il est légitime de chercher à tirer des leçons d’une telle crise, il importe de le faire de manière rationnelle sans céder aux diagnostics simplistes et souvent populistes.
Le complexe du voisin allemand
Alors, il peut être intéressant de se comparer, sans complexe, à notre voisin allemand pour essayer d’identifier quelques axes d’amélioration.
La France ressort régulièrement en tête des classements des systèmes de santé les plus performants, faut-il le rappeler aux esprits chagrins. Notre espérance de vie de 82,6 ans est supérieure à celle de l’Allemagne (81,1) pour une proportion du PIB consacrée aux dépenses de santé équivalente dans les deux pays : 11,2%. Mais nos PIB et la taille de nos populations sont différents, ce qui se traduit par 4986 dollars de dépenses de santé par habitant en France contre 5986 dollars en Allemagne en 2017.
Mais faut-il forcément dépenser plus pour avoir une population en meilleure santé ? L’Italie et l’Espagne ont une espérance de vie supérieure à celle de la France et de l’Allemagne malgré des dépenses de santé nettement inférieures, ce qui explique sans doute les difficultés rencontrées par ces deux pays au pic de l’épidémie, la bonne santé de leurs populations tenant davantage à leurs modes de vie qu’à leurs infrastructures hospitalières. Les Etats-Unis affichent à l’inverse des dépenses très élevées pour une espérance de vie inférieure qui tient beaucoup au mode de vie américain.
La réponse n’est donc pas forcément dans le dépenser plus mais peut-être dans le dépenser mieux.
Le développement de la chirurgie ambulatoire est souvent mis en avant comme axe d’économie et d’amélioration des conditions de prise en charge des patients (diminution du risque d’infection intra-hospitalière par le raccourcissement de la durée de séjour) afin de dégager des marges de manœuvre pour des soins plus lourds.
Mais on oublie souvent dans ce domaine de s’en référer à des chiffres actualisés. Or, des progrès spectaculaires ont été réalisés en France au cours des 10 dernières années. En 2018, 57,6% des opérations ont ainsi eu lieu en ambulatoire, ce qui nous situe à un niveau semblable à celui de nos voisins allemands. Pour autant, l’Allemagne affichait en 2017 une capacité en lits d’hospitalisation supérieure : 8 pour 1000 habitants contre 6 en France et 6 lits de soins aigus contre 3 en France, malgré une durée de séjour en hospitalisation complète de 9,9 jours en France en 2017 plus longue qu’en Allemagne (8,9 jours). Disposer de marges capacitaires en lits pour faire face aux fluctuations de l’activité liée aux urgences ou à des périodes de pic épidémique constitue certainement un axe de progrès nécessaire.
Dans le même temps, on observe dans le dernier rapport de l’OCDE, un ratio de médecins et infirmiers pour 1000 habitants supérieur en Allemagne : 4,3 médecins pour 1000 habitants contre 3,2 en France et 12,9 infirmiers pour 1000 habitants contre 10,9 en France. Les infirmiers sont rémunérés en moyenne 53 600 dollars US en 2017 en Allemagne contre 42 400 dollars US en France. Comme indiqué, compte tenu du niveau du PIB allemand, un même pourcentage du PIB consacré à la santé ne dégage pas les mêmes montants disponibles par habitant. Alors, où chercher ces marges de manœuvre pour permettre de revaloriser et de renforcer les effectifs infirmiers à l’hôpital ?
Intouchable T2A ?
Le retour à la dotation globale ressortie du placard où elle avait été soigneusement stockée après des années de dégâts, n’offrirait aucune garantie de ce point de vue et risquerait, les mêmes causes produisant les mêmes effets, d’aboutir à un effet désincitatif au développement de l’activité.
Or, si le mot « activité » prend aujourd’hui des accents péjoratifs, les contrôles effectués sur la pertinence des actes réalisés à l’hôpital confirment dans une très large majorité des cas la pertinence et la nécessité de ces actes. Pour preuve, le rapport publié en 2014 par l’Assurance Maladie concernant les campagnes de contrôle T2A réalisées entre 2008 et 2012, qui affichait un niveau moyen d’indus par établissement contrôlé de l’ordre de 100K€, ce qui est très marginal par rapport au chiffre d’affaire des établissements de santé. Par ailleurs, un tiers de ces indus portait sur l’interprétation de la circulaire frontière récemment révisée pour apprécier l’éligibilité ou non d’une prise en charge au statut d’hospitalisation de jour plus rémunérateur que les seuls actes externes. S’agissant des économies possibles sur les bilans d’imagerie ou de biologie réalisés de manière parfois abusive sur les patients hospitalisés, il y a sans aucun doute des perspectives d’amélioration. Mais ces dépenses sont couvertes par les tarifs des séjours qui ne varient pas en fonction du nombre de bilans. Les établissements ont donc tout intérêt à maîtriser la pertinence de ces bilans pour optimiser leurs coûts de production. La maîtrise des actes réalisés en milieu hospitalier ne réduira donc pas la dépense actuelle de l’assurance maladie autant que certains l’espèrent.
Dit autrement : vouloir remettre en cause l’activité et le mode de financement qui en soutient le développement, revient à vouloir réduire l’accès des Français à des soins légitimes, ce qui ne saurait être une solution pour améliorer le mode de fonctionnement des établissements de santé et les moyens qui leurs sont dédiés.
Toutefois, la « tarification à l’activité » ne doit pas davantage constituer une vache sacrée intouchable. A ce titre, le projet de réforme « Ma santé 2022 » envisageait d’introduire une dimension « qualité » dans le mécanisme de paiement selon le modèle américain du P4P (pay for performance) dans une logique de mesure des résultats obtenus, avec comme sous-entendu de faire la chasse aux actes et séjours non pertinents ou excessifs. L’on peut cependant douter du fait qu’il s’agisse d’un levier indispensable, les séjours dits « non pertinents » se justifiant souvent par un embouteillage au niveau des lits disponibles dans les structures de prise en charge en aval des soins aigus.
Plutôt que de rajouter de la complexité au mécanisme de valorisation de l’activité (et de la charge en soins correspondante), une simplification et une dématérialisation de l’ensemble de la chaîne de codage, valorisation, facturation, paiement, recouvrement qui mobilise beaucoup de temps médical et un nombre exorbitant d’effectifs administratifs dans les établissements de santé, au niveau des mutuelles, assurances, caisses de sécurité sociale permettrait de dégager des moyens importants et plus utiles au chevet des malades. Chacun a pris sa part dans l’émergence de ce Léviathan, mécanisme de tarification devenu illisible et d’une complexité sans nom, chacun voulant faire reconnaître la spécificité de telle ou telle situation. Cela a quand même abouti à une facturation des séjours dont un pourcentage est imputé à la Sécurité Sociale et l’autre soit aux mutuelles soit aux patients, mais ce pourcentage s’applique sur des tarifs différents : 20% de carottes pour les uns, 80% de choux fleurs pour les autres.
Il est urgent de sortir des travers de ce dispositif byzantin devenu kafkaïen pour revenir à un dispositif plus lisible permettant de valoriser simplement les efforts et mérites de chaque établissement sans verser dans un tel degré de complexité très coûteux au final. Ce mécanisme simplifié pourrait utilement s’appuyer sur une plateforme nationale d’enregistrement administratif des patients, avec la possibilité pour chacun de s’enregistrer en ligne via son espace numérique en santé connecté au dossier médical partagé (DMP). Une articulation entre cette « plateforme d’enregistrement sécurité sociale et mutuelle » et la remontée automatisée des actes et séjours réalisés par les professionnels et établissements de santé vers le DMP permettrait de fluidifier les parcours administratifs et d’économiser d’importants moyens humains. Quid du codage spécifique des séjours hospitaliers ? Les outils d’intelligence artificielle permettent d’ores et déjà d’automatiser l’extraction des informations nécessaires à la codification du séjour, depuis un dossier patient informatisé dès lors qu’il est bien renseigné par médecin et soignant.
Le système hospitalier a-t-il vraiment besoin d’une rallonge budgétaire ?
Enfin, il est important de rappeler que le système de tarification à l’activité n’a de néolibéral que le procès d’intention. L’activité des établissements de santé ne relève pas d’un mécanisme marchand dérégulé. Elle s’inscrit dans une enveloppe-plafond votée chaque année par le Parlement : l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Au-delà de la simplification nécessaire des mécanismes de tarification évoquée ci-dessus, la frustration face à ce système de T2A est surtout due à la baisse des tarifs constatée sur la décennie (mis à part sur les deux dernières années), laquelle est la conséquence directe de volumes d’activité qui augmentaient souvent au-delà du taux d’évolution de l’enveloppe plafond ONDAM, notamment du fait du vieillissement de la population.
Si cet ONDAM devait encore être revu à la hausse, il faudrait alors faire de nouveaux arbitrages politiques et sociétaux quant à la répartition des dépenses publiques
Mais le pendant légitime de cette question sera nécessairement celui du niveau d’efficience du système hospitalier et du réel besoin d’une rallonge budgétaire : est-on vraiment allé au bout des gains d’efficience possibles ?
Au niveau infra-hospitalier, dans une très large majorité des établissements, beaucoup a été fait et il devient difficile de concilier gains d’efficience et préservation de la qualité des soins.
Mais au niveau de la régulation territoriale de l’offre de soins entre établissements de santé, des gains d’efficience restent possibles. La spécialisation des établissements sur un nombre réduit de filières de prise en charge coordonnée à l’échelle d’un territoire pour garantir l’accès aux soins de tous pourrait permettre de gagner en efficience selon une règle de bon sens : on fait mieux et de manière plus sécurisée un geste que l’on réalise plus fréquemment.
Sans doute faut-il sortir pour cela du modèle voire du dogme de l’hôpital généraliste, pour tendre vers une coordination d’établissements de santé spécialisés de territoire, quels que soient leurs statuts.