Cette contribution a été rédigée avant la publication des conclusions du Ségur de la Santé.
Julien ROSSIGNOL est directeur d’hôpital, directeur d’établissement en région Nouvelle Aquitaine
La réforme « ma santé 2022 » pose un diagnostic sévère mais juste de notre système de santé :
- Problème d’accès aux soins dans certains territoires (accessibilités géographiques ou financière)
- Vieillissement de la population et développement des pathologies chroniques entraînent un besoin de coordination entre professionnels qui de fait est insuffisant
- Course à l’activité et importance des charges administratives
- Manque de temps pour soigner
- Non-reconnaissance des efforts et de l’implication individuelle et collective
- Peu d’évolutions possibles, manque de perspectives dans les carrières
- Difficultés de passer d’un exercice salarié à un exercice libéral ou de combiner les deux
- Exercice isolé des professionnels de ville
- Cloisonnement entre la ville et l’hôpital, entre le médico-social et le sanitaire, entre le public et le privé
Tous ces maux font l’objet d’une prise de conscience et montrent la nécessité de réformer en profondeur un système élaboré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui et aux aspirations des jeunes générations. La crise sanitaire exceptionnelle que nous venons de connaître exacerbe ce diagnostic et commande un nouveau départ.
Les attentes des professionnels de santé ont profondément changé et il convient désormais de se tourner vers eux pour trouver les ressorts d’une organisation nouvelle. De nombreuses enquêtes de satisfaction, parfois davantage d’insatisfaction des personnels, montrent qu’il est temps d’agir sur deux volets intimement liés, à savoir la reconnaissance des professionnels de santé et l’attractivité des structures hospitalières publiques.
Un diagnostic partagé par les jeunes hospitaliers
Les jeunes hospitaliers que nous côtoyons et recrutons chaque jour revendiquent des mesures et actions fortes pour l’hôpital de demain. Il sera difficile d’être exhaustif ici mais quelques éléments importants peuvent être évoqués.
D’abord, bon nombre de jeunes hospitaliers souffrent d’un manque de reconnaissance dans leurs fonctions, dans leurs missions, allant jusqu’à réinterroger leur vocation même. Et cela concerne les professionnels tant médicaux que paramédicaux.
L’usage du terme « para » médical doit être entendu ici comme ceux qui travaillent « à côté » des médecins, c’est-à-dire, l’ensemble des professionnels qui fondent l’hôpital public, la communauté hospitalière au sens large et pas seulement les soignants. Car les travailleurs de l’ombre de l’hôpital ne peuvent pas être oubliés et marginalisés. Les agents des services techniques, des services économiques, des services logistiques, de la restauration, des blanchisseries, des admissions, et même les « administratifs », tous concourent à fonder la communauté hospitalière autour des médecins.
Ce manque de reconnaissance des professionnels s’articule autour de deux demandes récurrentes :
- Celle d’une juste rémunération
- Celle d’une conciliation forte entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
S’agissant de la rémunération, il n’est pas possible de passer sous silence les débats sur le statut de la fonction publique et notamment le statut de la fonction publique hospitalière. Sacro-saint pour les uns, obsolète pour d’autres, il convient surtout de le confronter aux faits et aux discours des professionnels, ceux que nous recrutons tous les jours dans nos hôpitaux. Or, force est de constater qu’il n’est plus l’alpha et l’oméga d’une carrière pour les jeunes générations.
Les jeunes praticiens et professionnels que nous recrutons souhaitent une rémunération attractive, évolutive mais surtout en rapport avec ce qu’ils donnent chaque jour à l’hôpital et à leurs patients. Et bien sûr, ils souhaitent un contrat de travail qui les sécurise pour débuter et construire leur vie personnelle et familiale. A ce titre, le statut de fonctionnaire ou de praticien hospitalier ne représente plus le graal absolu. Un CDI rapide et une sécurisation du contrat de travail vaudront toujours mieux qu’une course effrénée et sans fin vers le statut.
De la même manière, le conglomérat de primes et indemnités qui existent conduit à des inéquités entre structures hospitalières et parfois même à l’intérieur d’un même hôpital. Une revue générale et une meilleure lisibilité de ces éléments simplifieraient de nombreux débats internes et amèneraient une simplification administrative très largement attendue.
La gestion des différents métiers à l’hôpital doit laisser davantage de place aux spécificités des fonctions, de la charge émotionnelle, de la charge physique au travail, et donc laisser davantage de place à l’individu lui-même. En somme, il faut passer d’une gestion des ressources humaines, linéaire et pré déterminée à une gestion humaine des ressources par définition plus individuelle et plus proche des femmes et des hommes qui exercent les métiers de la santé à l’hôpital.
De la même manière, les règles de rémunérations strictes et figées (avancement du 1er au 13ème échelon de PH de manière linéaire) doivent laisser place à des différenciations fondées sur des spécificités objectivables.
S’agissant des concours, reflets d’une méthode de recrutement bureaucratique et dépassée, ils doivent laisser place à un recrutement plus performant, plus lisible et donc nécessairement plus agile. Cela n’empêche en rien que les médecins, comme l’ensemble des professionnels de santé dans les hôpitaux, puissent faire leurs preuves dans leurs établissements, sur leur terrain et au sein de leurs équipes. S’agissant des praticiens hospitaliers, un recrutement et une gestion à l’échelon local opéreraient un rapprochement significatif entre le corps médical et leurs établissements, participant à alimenter un sentiment de confiance et d’appartenance fondés sur des droits et des devoirs partagés.
Vers un choc d’attractivité de l’hôpital
La reconnaissance individuelle doit servir une cause plus large : celle d’un véritable choc d’attractivité pour l’ensemble des acteurs hospitaliers attendu instamment par le Ségur de la Santé.
En ce sens, plusieurs propositions doivent être faites notamment en matière de rémunération.
La suppression attendue des 4 premiers échelons de praticien hospitalier doit trouver un écho chez les personnels paramédicaux. Ainsi, la suppression des 4 premiers échelons des personnels soignants (infirmier, aide-soignant et Agent des services hospitaliers) serait une mesure – miroir cohérente. Elle permettrait de revaloriser les débuts de carrière de nos jeunes professionnels et ainsi les orienter davantage vers l’hôpital public.
Les autres professionnels doivent également y trouver leur compte, sous peine de scinder notre communauté hospitalière. L’enveloppe globale que l’Etat et, in fine, la société y consacreront ne devra pas les oublier, dans des proportions qui restent à déterminer par les pouvoirs publics.
Une fois le début de carrière revalorisé, il conviendra de s’atteler à son déroulement. Sur ce secteur, il conviendra de créer là encore un véritable choc de simplification administrative. Les Commissions administratives paritaires chargées de faire évoluer les carrières de nos agents sont trop lourdes et les règles de gestion attachées, trop contraignantes. Les quotas d’évolution de grade pourront être supprimés pour permettre d’enrichir le dialogue social sur le terrain et de faire évoluer les agents hospitaliers sur la base d’éléments contractualisés avec les partenaires sociaux. Cet enrichissement du dialogue social passera nécessairement par une liberté retrouvée, dans les établissements et avec les acteurs de terrain, afin d’être davantage en cohérence avec les réalités quotidiennes.
De la même manière, la répartition de la prime de service annuelle des agents hospitaliers, fondée sur un texte de 1969, ne peut pas perdurer. La réécriture du texte autant que la révision de la part dédiée à cette prime (7,5% de la masse salariale) semblent être un impératif pour valoriser le mérite dont on ne voit pas pourquoi il ne devrait pas être récompensé dans la FPH. Or les méritants sont nombreux à l’hôpital et rien ne doit empêcher qu’ils puissent être récompensés.
S’agissant des fins de carrière, la mise en place de nouveaux indices sommitaux pourra être revue notamment chez les soignants afin que le Ségur ne soit pas seulement la revalorisation des actifs car la reconnaissance des anciens, dans le cadre du débat sur les retraites, est aussi un marqueur de la reconnaissance de la société envers ses hospitaliers.
Enfin, il est également temps de s’interroger sur le rôle et la place de la fonction publique hospitalière aux côtés de la fonction publique de l’Etat et territoriale et notamment sur la question de la valeur du point d’indice dont le gel récurrent défraye régulièrement la chronique. Si la reconnaissance de la nation vis-à-vis du secteur de la santé est totale, il conviendra d’accepter de déconnecter la valeur du point d’indice de la FPH des autres fonctions publiques. En effet, permettre la revalorisation du point d’indice de la fonction publique hospitalière sans revaloriser l’ensemble des fonctions publiques reviendrait à assumer le fait que les hospitaliers présentent une singularité majeure dans notre société. Il n’est pas question ici d’opposer les uns aux autres mais bel et bien d’assumer une reconnaissance de ceux qui préserve notre santé.
S’agissant du mode de rémunération des praticiens hospitaliers, plus de liberté et de marges de manœuvre peuvent être trouvées sur le modèle de ce que font les ESPIC. Cette libéralisation des rémunérations sans contrainte statutaire semble trouver des vertus dans un cadre RH adapté et discuté dans nos établissements.
De même, le cadre de l’activité libérale à l’hôpital ou d’exercice mixte doit non seulement être assoupli mais encouragé, sans que cela remette en question l’attachement et les impératifs du service public hospitalier.
Néanmoins, l’attractivité de l’hôpital public ne réside pas uniquement dans ses modes de rémunération. D’autres leviers existent et peuvent être actionnés.
La demande croissante des jeunes professionnels d’une véritable qualité de vie au travail doit pouvoir trouver des réponses.
Depuis trop longtemps, la gestion des personnels médicaux et non médicaux a été séparée pour des raisons diverses. Force est de constater que les sujets liés à la qualité de vie au travail de ces différents professionnels tendent, quant à eux, à se rapprocher dans la mesure où il s’agit de préserver l’humain derrière le professionnel ou le diplôme qu’il représente face notamment aux risques psychosociaux.
La bienveillance managériale impacte directement les équipes hospitalières mais aussi indirectement la qualité de la prise en charge des patients. Il existe, en effet, une chaine vertueuse qui débuterait par un management humain des équipes et qui aboutirait à une relation soignante performante et sereine pour le patient. Une prise de décision managériale collégiale et consensuelle apparait primordiale et doit être préservée. L’exercice solitaire de la fonction de management comme l’exercice solitaire de la médecine ne peuvent conduire qu’à des erreurs ou des échecs. C’est aussi le sens d’une gouvernance historiquement partagée de nos structures.
Il faut être conscient que le manager, qu’il soit médical (chef de pôle chef de service), soignant ou administratif, à l’échelle d’un établissement ou à l’échelle d’un territoire, dispose de nombreux ressorts pour créer les conditions d’un cercle vertueux de management.
La bienveillance et la confiance restent les moteurs d’une relation sereine dans une équipe soignante. La loi HPST, la création des pôles, et aujourd’hui les groupements hospitaliers de territoire sont autant de réformes significatives qui agissent plus ou moins directement sur les organisations de travail et plus largement sur les conditions de travail des professionnels. Le centre de gravité de la prise de décision s’est sans doute trop largement déporté vers les pôles ou au sein du Directoire. Un acte nouveau de déconcentration et de décentralisation de la prise de décision à l’hôpital devra être opéré pour redonner sens au management et à la prise de décision. Ainsi, le rôle du chef et du cadre de service peut et doit être accentué par une délégation de gestion (budgétaire et managériale) plus forte. Plus qu’un relai, ils doivent être le maillon d’une même chaine de management, cohérente et bienveillante.
La motivation de chacun reste un sentiment, une attitude, un état d’esprit, une manière d’être fondée sur l’intérêt que l’on porte à ce que l’on fait.
Il ne peut pas exister un management sans confiance et sans une relation constante entre les acteurs et professionnels de santé. Il s’agit d’une exigence quotidienne et continue devant marquer chaque manager sans relâche.
Passer le cap d’une juste rémunération de nos professionnels de santé est aujourd’hui indispensable pour rétablir une reconnaissance et un sens perdus. Mais elle ne doit pas occulter le monde d’après : le travail quotidien des femmes et des hommes qui préservent, chaque jour et en toutes circonstances, notre bien le plus précieux : notre santé.
Excellent constat malheureusement insuffisamment pris en compte lors du Ségur dont on retiendra surtout – peut-être à tort – qu’il s’est résumé à une revalorisation salariale uniforme.
À l’évidence, il faut aller plus loin sur les évolutions statutaires. Passer d’une carrière quasi linéaire à un engagement contractuel motivant prendra du temps. Autant commencer maintenant si l’on veut, d’ici dix ans, pouvoir adapter les ressources en compétence à la diversité des besoins des établissements de santé. Pour cela, proposer aux hospitaliers un choix réversible entre les statuts du siècle dernier et les dispositifs contractuels à expérimenter pourrait être une bonne méthode.