A l’heure où le Ségur de la santé a mis l’accent sur des revendications salariales renvoyant les aspects structurels et néanmoins fondamentaux à plus tard, il est possible de dresser les axes d’une profonde réforme de notre système sanitaire et social.
Eric LAJARGE est un ex-directeur d’hôpital, administrateur civil général, directeur de la stratégie du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), chargé d’enseignement à Paris Dauphine, intervenant à l’institut Léonard de Vinci et à l’INSEEC
Pour cela, 3 idées me semblent devoir être intégrées à la réflexion à venir :
1. Distinguer ce qui doit relever du national et du local, alléger la technostructure et redonner leur juste place aux élus locaux en renforçant leurs compétences dans le champ sanitaire et social par un nouvel élan de décentralisation
Il ne fait pas débat que le rôle de l’Etat est de protéger. Tout comme il est de favoriser l’innovation.
Ce principe doit s’appliquer au secteur sanitaire.
A l’Etat le rôle de protéger et de poursuivre la mise en place d’un réseau de veille et d’alerte national avec des antennes évidemment locales mais qui relèvent clairement de l’Etat.
A l’Etat aussi de former les futurs médecins et à l’assurance maladie de les rémunérer.
Au-delà, il semble possible d’ouvrir un débat sur les compétences respectives de l’Etat et des collectivités locales.
C’est ici que le modèle de l’éducation nationale trouve à s’appliquer. Pourquoi une collectivité peut-elle gérer les murs d’un lycée et pas ceux d’un hôpital ? Qu’y a-t-il de différent ? Pourquoi une collectivité peut-elle recruter des cuisiniers pour préparer des repas à de milliers d’élèves (dont certains ont des projets d’accueil individualisés, je le rappelle) et ne le pourrait-elle pas pour fabriquer des repas aux patients hospitalisés ?
Il me semble important de poser ce débat d’un financement de l’assurance maladie uniquement centré sur la rémunération des actes médicaux et paramédicaux (et donc des rémunérations pour ce qui concerne le secteur public) ainsi que les dispositifs et équipements médicaux et de laisser aux collectivités la gestion des sujets immobiliers et de soutien logistique sur des éléments tels que la restauration, le traitement du linge etc. Pour cela, diverses formes juridiques peuvent exister si nous ne voulons pas aller jusqu’à la délégation aux collectivités telles que les SPL, SEM et autres groupements. Il suffit parfois que quelques modifications législatives ou réglementaires mineures.
Bien entendu, on évitera un émiettement des interventions des collectivités comme sur les établissements scolaires (Région – lycées / Département /collèges / Primaire – Commune) pour désigner dès l’entrée en vigueur de cette réforme un chef de file parmi les strates de collectivités quel que soit le type d’établissement. On peut utilement se référer sur cette notion de chef de filat à l’article de Marie Odile Nicoud in la revue Pouvoirs locaux n°117 – Janvier 2020 – page 69 et suivantes).
Le financement de ces mesures sera inscrit à la fois dans un transfert financier classique en matière de transfert de compétences (transfert généraliste tel que prévu à l’article 72-2 al.4 de la constitution et qui a donné lieu à une jurisprudence constante du conseil constitutionnel comme par la Décision 2011-142-145-QPC du 30 juin 2011) mais aussi dans les contrats plan Etat région en cours de négociation (traitement de la différenciation territoriale). Il s’agirait alors de mobiliser la part territorialisée des CPER, de manière à permettre que cette modalité puisse concerner toutes les collectivités territoriales et pas seulement les Régions.
En contrepartie, la place des élus au sein du système sanitaire et social, qui s’est peu à peu réduite jusqu’à ne plus peser réellement, doit être restaurée. Il a été ainsi récemment possible qu’un groupe de travail lancé sur la gouvernance à l’hôpital par la ministre de la santé ne comporte initialement en son sein aucun élu de la République ! (https://www.banquedesterritoires.fr/la-mission-du-professeur-claris-sur-la-gouvernance-des-hopitaux-ignore-les-elus-locaux).
Les élus connaissent leur territoire bien mieux que quiconque. Sur ce sujet, la crise sanitaire a montré leur réactivité face à un Etat apparaissant comme trop éloigné des réalités locales.
Les élus doivent être au centre d’un processus de décision. Ils doivent s’appuyer sur le binôme qu’ils forment avec le préfet de département ou de région.
Ils doivent pouvoir réinvestir les organes de décision des structures hospitalières. Dans le même temps, l’articulation entre les Elus, préfet de département et délégations territoriales des ARS doit être sans faille.
2. Utiliser tous les outils à notre disposition et faire cesser un cloisonnement néfaste
Les sujets de santé ou du social, comme beaucoup de sujets d’ailleurs, se traitent entre experts de ces seuls champs, dans des logiques de silo ou si l’on préfère la natation, dans des logiques de couloirs de nage.
La notion d’experts renvoie alors ici au fait d’être inscrit dans les réseaux, dans les centres de décision, depuis de très (trop) longues années et cette expertise ne génère finalement que des rentes de situation, de la reproduction de schémas et de l’entre soi, ce qui n’est pas souhaitable.
Mais ce qui est plus préoccupant, c’est que cette expertise empêche toute réflexion transversale puisque nos fameux experts ne voient (ou pire, ne veulent pas voir) pas souvent au-delà de leur propre compétence.
Ainsi, certains traitent des questions hospitalières, d’autres des questions médicosociales, d’autres enfin de l’activité dite de ville (avec à l’intérieur de ces champs de réflexion et d’expertise, des sous champs comme le secteur des personnes âgées ou le secteur de l’exclusion). Chacun ne traite que de ses propres sujets et ce dans sa propre verticalité, avec ses propres interlocuteurs (toujours les mêmes aussi), en se souciant rarement des abords transversaux et du sujet essentiel que sont les territoires.
Parler des territoires ou territorialiser une action, ce n’est pas simplement créer un centre médicosocial de plus, plus proche de quelques populations (il s’agit plutôt d’un déploiement de service public de proximité). Ce n’est pas non plus créer un réseau de prise en charge sur une pathologie ou un groupe de population (on se réfèrera ici aux réseaux de santé ou pour le secteur médicosocial aux PAERPA, dont la ministre elle-même doutait de l’efficacité).
Pour territorialiser, il existe deux approches méthodologiques : une basée sur les publics (people based et spatially blind) et une approche basée sur la différenciation des territoires dite « place based ». On a été beaucoup (trop) sur la première approche, on vient peu à peu (enfin) sur la seconde !
Territorialiser, c’est arriver à faire travailler ensemble, sur un territoire précis, nos fameux experts du sanitaire et du social déjà entre eux, mais aussi et surtout avec d’autre métiers : sociologues, architectes, urbanistes, géographes, spécialistes des mobilités… Faire par exemple des schémas sociaux dont la base de départ ne serait pas le territoire (en général l’EPCI) et sans faire appel aux professions citées, devient aujourd’hui un non-sens absolu. C’est pourtant la règle qui prévaut malheureusement encore en France.
Travailler l’articulation entre le secteur sanitaire et social et le territoire, ce doit être l’occasion de parler, entre autres, des schémas de cohérence territoriale (SCoT) récemment rénovés par l’ordonnance du 17 juin 2020, c’est parler de rénovation, énergétique ou pas, des bâtiments, c’est parler de plan de mobilités, c’est parler transitions (démographique, économique, numérique et écologique) et c’est parler revitalisation du territoire dont les « cœurs de ville ».
Sur tous ces sujets, le ministère de la santé a été jusqu’à présent absent et il doit prendre au contraire toute sa place. Le Haut conseil en santé publique (HCSP – Pour une meilleure intégration de la santé dans les documents de la planification territoriale – Avril 2018) recommande d’articuler les politiques de santé avec les outils de l’aménagement et de la construction et l’EHESP (Guide ISADORA -Intégration de la santé dans les opérations d’aménagement – l’urbanisme favorable à la santé – Juin 2020) vient de faire de même dans une récente publication. On pourra se référer également au Rapport Broussy, Adapter la société aux enjeux du vieillissement publié en 2013.
Il est heureux que le HCSP et maintenant l’EHESP se saisissent de ces sujets en espérant qu’à la suite, le ministère de la santé et le ministère délégué à l’autonomie en fassent de même. Nous avons sur ce sujet déjà un début de réponse puisque la ministre déléguée en charge de l’autonomie précise que son projet de loi Autonomie se déclinera en 5 axes dont le 4ème sera « Aménager le territoire pour la transition démographique ».
Les publics visés par les politiques sociales sur nos territoires connaissent des fragilités spécifiques. Il ne s’agit pas ici de gommer les différences de prise en charge entre une forme sévère d’autisme ou une autre forme tout aussi sévère d’Alzheimer. Il s’agit plutôt de dire que les publics dits « empêchés » ou fragiles, visés par nos politiques sociales, connaissent tous des difficultés de logement, de mobilité, d’accès aux soins, de maintien du lien social, d’exercice de leurs droits culturels… On sera dès lors curieux de suivre les débats relatifs à la loi Autonomie et quel sens sera donné à la notion de lien social. Pour notre part, l’autonomie doit concerner tous les publics à travers la réflexion sur des outils communs.
C’est particulièrement sur ce sujet que les questions de territoires sont prégnantes et elles doivent être envisagés grâce à l’intervention et aux compétences de tous les acteurs réunis, médecins, cadres du secteur sanitaire et social, mais aussi donc, l’ensemble des professionnels de l’aménagement précédemment décrits avec les élus et l’Etat à la manœuvre. Apprenons à travailler ensemble !
3. La réforme de la perte d’autonomie, au sens d’aide à la lutte contre la dépendance, doit passer par une réflexion en profondeur de ce qu’est la solidarité due aux vieux.
Tout d’abord, préciser que dire vieux est utiliser le bon mot. A l’heure du très politiquement correct, il est bon de se rappeler que Paulette Guinchard, ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées très appréciée au-delà des clivages partisans, qui a durant sa mission ministérielle fait l’APA, la réforme de l’aide à domicile, le DEAVS, la première circulaire Alzheimer et la loi du 2 janvier 2002, appelait un vieux un vieux et aimait à le dire.
A sa suite, appelons donc nous aussi un vieux un vieux.
Ensuite, accompagner la perte d’autonomie doit nous conduire à nous poser plusieurs questions :
La première, c’est qui est malade et qui ne l’est pas. A l’époque, Geneviève Laroque, présidente de la fondation nationale de la gérontologie, femme haut en verbe et particulièrement appréciée, disait du haut des nombreuses tribunes où elle était conviée : « pour savoir qui finance la dépendance, il faut savoir qui torche le cul des vieux » (sic). Dans cette veine, on peut se demander qui est malade et qui ne l’est pas. Si le vieux est malade, alors il doit être soigné et c’est le rôle de la médecine de l’hôpital. Le sujet qui se pose aujourd’hui est l’hyper médicalisation des EHPAD et la concentration de l’hôpital sur des activités MCO ou SSR. Il faut que l’hôpital réinvestisse ce champ de la prise en charge médicale des vieux. Cela passe selon moi par une réflexion conjointe sur la cotation des actes en matière de prise en charge de personnes le plus souvent polypathologiques et le desserrement de la sanction en cas de durée anormalement longue. La réflexion des associations d’élus locaux, réunis au sein de territoires unis, pose cette question en creux. Elle surgira dans le débat très vite
La deuxième, c’est de se demander ce qu’est la solidarité à l’égard des vieux. Lors de la création de la CNSA, les débats ont été tronqués pour conduire à cette caisse spécifique, permettant de sanctuariser les crédits nous disait-on. Ces débats sont les mêmes aujourd’hui et comme hier, il n’est nul besoin d’une caisse spécifique pour les vieux sauf à lui confier la gestion d’un 5ème risque (il faudra alors questionner le sujet de la gestion paritaire qui prévaut normalement au sein des organismes de sécurité sociale). Car à l’époque, il y avait pour exprimer la solidarité, pour coller de plus au sujet des aidants (on pourra lire avec attention les publications de Serge Guérin, sociologue et spécialiste de ce sujet des aidants), une caisse toute trouvée : la CNAF ! Puisque les vieux dépendants n’étaient selon les uns pas vraiment malades donc ne relevant pas de la CNAM, puisque les vieux dépendants n’étaient pas seulement vieux mais aussi dépendants pour les autres donc ne relevant pas de la CNAV, on a inventé une caisse supplémentaire, la CNSA alors que la CNAF paraissait le meilleur réceptacle de cette politique. Il est d’ailleurs étrange que l’on ait confié à la CNAF le sujet du RSA et pas le sujet de l’aide aux personnes âgées et la politique des aidants familiaux. Ce débat va ressurgir avec un rôle accru pour la CNSA qui doit donc devenir une véritable caisse de sécurité sociale ou disparaitre. Par exemple au profit d’une gestion directe par les conseils départementaux.
La troisième est de sortir des simples logiques de tuyauterie de financement (je te prends de la CSG, je retiens la CADES et je te reverse une part…) et d’imaginer le monde qui sera le nôtre dans quelques années. Aura-t-on trouvé un remède pour lutter contre Alzheimer dont une enquête PAQUID récente démontre d’étonnants résultats ? Personne ne peut le dire. Mais les exo squelettes, la question des aménagements foncier, urbain, rural, le sujet des véhicules autonomes, la montée en puissance des robots permettant l’assistance personnelle, le sujet des livraisons de médicaments par drone, tous ces sujets d’évolution des technologies doivent être au cœur de la réflexion sur la transition démographique, et donc de l’organisation du champ sanitaire et social.
En quelques mots, il faut intégrer le fondement de l’aide aux vieux dans un ensemble plus large qu’est la transition démographique et intégrer cette transition démographique, elle-même, dans l’ensemble des transitions, écologique, économique et numérique.
La réflexion en cours avec les débats relatifs à la nouvelle loi autonomie ne peut donc se circonscrire à de simples enjeux financiers (on sait depuis longtemps que la facture s’élève a minima à 3 milliards et dans un monde parfait, à 10 milliards d’euros). Elle devra s’engager aussi sur le chemin de l‘orientation à choisir entre le sanitaire ou le médicosocial des populations en perte d’autonomie et devra intégrer le champ de toutes les transitions, au risque sinon de passer complètement à côté du sujet.
Distinguer ce qui relève du national et du local pourrait par exemple conduire les Conseils Régionaux, qui ont maintenant acquis une taille significative, pilotés par des exécutifs solides, à prendre la main, en lieu et place de la structure centralisée actuelle, parisienne, sur la politique de santé.
Prendre la main, c’est sans doute pouvoir orienter les investissements, mais c’est surtout pouvoir déterminer les priorités, adapter le dispositif, animer des territoires, coordonner avec d’autres champs d’activité économique ou sociale, financer des actions innovantes, mettre fin à des dispositifs devenus inutiles ou inadaptés, bref être en responsabilité.
C’est aussi disposer des moyens financiers correspondants, en rendre compte. La perspective d’un “ORDAM”, un temps évoqué, placé sous la responsabilité de l’exécutif régional, serait utilement régénérée…
L’ARS, aujourd’hui outil technocratique du ministère de la santé, deviendrait ainsi un moyen d’action pour le Conseil Régional, sous la responsabilité des élus… et justifierait ainsi son “R” !