Alors que l’on constate que notre environnement, censé être immuable, ne cesse de se dégrader, les établissements de santé gardent pour vocation de prolonger la vie humaine dans les meilleures conditions possibles et de différer au maximum notre obsolescence programmée. Si l’hôpital prend soin du corps et de l’esprit, il relève également de sa responsabilité, comme de celle de toutes les administrations, de protéger l’environnement des effets néfastes de son activité.
Rudy Chouvel est Docteur en droit public, Directeur d’hôpital, Centre hospitalier Moulins-Yzeure
Plus de 700 000 tonnes de déchets (ANAP, 2010), 2% de la consommation énergétique et 1,5 milliard de repas (ADEME, 2016) sont produits et consommés chaque année par les établissements de santé publics et privés, auxquels s’ajoutent 25 milliards d’euros d’achats publics hospitaliers (Cour des comptes, 2017) et la gestion d’environ 60 millions de mètres carrés de patrimoine (Cour des comptes, 2012) pour les seuls établissements de santé publics.
Une prise de conscience semble émerger de toutes parts : la Convention citoyenne pour le climat (CCC) a rendu 149 propositions ambitieuses, le collectif Jeunes médecins, préconisent des politiques de développement durable volontaristes, les réseaux se développent (ANAP, FPTE…), et les initiatives fleurissent dans les établissements.
Les établissements de santé et leur gouvernance doivent se réinventer et se saisir pleinement de ce sujet nécessaire et passionnant, rencontrer les acteurs du territoire et lui consacrer du temps et des ressources.
La transition écologique fait partie des récentes propositions du Ségur, et le Ministre des Solidarités et de la Santé a pris position en faveur d’actions ambitieuses concernant la lutte contre le gaspillage alimentaire, la gestion des déchets et des énergies.
Pourquoi les hôpitaux doivent-ils entrer en lice ?
Le développement durable fait écho à la formule « sustainable development » du rapport Brundtland de 1987, offrant l’idée d’un développement des générations actuelles sans dégradation de celui des générations futures.
Appliqué aux établissements de santé, il s’agit d’un enjeu majeur qui recoupe, à travers ses trois piliers économique, environnemental et social, différents thèmes sur lesquels les acteurs de l’hôpital ont une influence : déchets et effluents, achats, numérique, énergies, restauration, travaux, management…
Une partie des activités des établissements de santé a une incidence néfaste sur l’environnement : émissions de gaz à effet de serre, consommations énergétiques mal maîtrisées, filières de tri parfois peu développées, économie circulaire et circuits courts encore peu sollicités.
Si quelques récentes dispositions normatives encouragent des comportements vertueux, elles sont encore peu intégrées dans les pratiques et les établissements doivent pleinement prendre leur part et bâtir des politiques de développement durable en les intégrant à leur projet d’établissement et aux rapports d’activité.
Le ministère des Solidarités et de la Santé doit prendre conscience de son importance et du rôle qu’il doit jouer, en lien avec les Objectifs du développement durable. Il pourrait notamment s’appuyer sur une nouvelle Convention relative au développement durable Etat-Fédérations 2020-2023, signée par l’ADEME et ambitieuse en termes d’engagements. Il doit ainsi tisser des liens aux niveaux national et territorial avec les autres ministères, les ARS, les DREAL, les élus et l’ADEME pour créer le socle essentiel aux établissements pour amorcer, cultiver et inventer des politiques robustes et ambitieuses.
Comment se mobiliser dès maintenant ?
Le niveau national doit être en mesure d’éclairer et d’accompagner les établissements, et les administrations plus généralement, dans leurs politiques de développement durable : édicter des lignes de conduite et des recommandations, intégrer ces enjeux aux formations initiales et continues, capitaliser et informer sur les bonnes pratiques, prendre position et conduire des études, faire évoluer le droit, bâtir un label et un réseau « établissement durable », mener une réflexion collective, ou encore développer des soutiens et incitations financiers (IFAQ, CPOM…).
Les établissements doivent également prendre conscience de la nécessité d’agir sur les aspects institutionnels. Le code de la santé publique pourrait ainsi être révisé afin que les projets d’établissement et les conventions de GHT incluent systématiquement un schéma directeur du développement durable.
- La restauration : encourager les produits labellisés et le circuit court
L’hôpital est un acteur de son territoire, le cœur sanitaire et le poumon économique d’une ville voire d’un département. Des plateformes départementales de mise en relation producteurs-restaurations collectives sont apparues ces dernières années (Agrilocal, par exemple) et des initiatives dans les établissements se multiplient mais permettre à nos patients et nos résidents de consommer bio et local reste coûteux.
Les récentes dispositions de la loi Egalim prévoient une consommation d’au moins 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20% de produits biologiques ; c’est ambitieux, mais les hôpitaux auront-ils les moyens d’amorcer ce virage « mandibulatoire » ? Une piste pourrait être de développer les menus végétariens, comme le proposait la CCC (proposition SN1.1.6), afin que la diminution de la consommation de viande puisse compenser le surcoût lié à l’amélioration de la qualité, voire d’inclure les besoins hospitaliers dans les plans alimentaires territoriaux.
De plus, les établissements devraient tous avoir entamé les démarches pour donner leurs repas non consommés à des associations et collecter leurs biodéchets.
- Les achats : privilégier l’achat durable
Plus globalement pour les achats, les collectivités locales doivent être présentes afin de proposer des plateformes de vente de type Agrilocal étendues au linge, au mobilier et aux marchés de maintenance, par exemple.
Les établissements support des groupements hospitaliers de territoire (GHT), par la mutualisation de la fonction achat, et les centrales d’achat sont les acteurs primordiaux de l’évolution des pratiques des fournisseurs : critères stricts concernant les emballages, les matières utilisées, l’origine des produits, le conditionnement…
Des recommandations des sociétés savantes et des administrations centrales, reprises par le ministère pourraient être diffusées afin de soutenir les établissements, médecins et agents souhaitant adopter des politiques de développement durable volontaristes (abandon du gaz anesthésiant Desflurane, particulièrement polluant, évaluation de l’usage unique et retour du réutilisable, séparation claire des déchets d’activités de soins avec ou sans risque infectieux…).
Il serait en outre souhaitable de pouvoir disposer de grilles de critères d’achat éco-responsables et de clauses sociales et environnementales, comme le propose la CCC (proposition PT7.1). La promotion de l’économie circulaire passe également par l’achat et la vente d’occasion, et le don de matériel au secteur associatif.
La fin des produits phytosanitaires, dans la ligne de la proposition SN2.1.4 de la CCC, devrait également être promue pour l’entretien des espaces verts des établissements de santé, avec le soutien ne serait-ce que technique des collectivités locales.
- Les déchets : mieux valoriser les déchets pour ne plus dilapider l’argent public
Nombre d’agents ne comprennent pas pourquoi l’hôpital ne peut pas trier ses déchets comme un particulier. Les ministères et les ARS peuvent œuvrer afin de faciliter la concordance entre les besoins des établissements et l’offre des différents prestataires : dynamiser les filières de tri (papier, carton, plastiques, « ordures ménagères »…) et sensibiliser les éco-organismes (permettant d’éliminer « gratuitement » certains déchets tels que le mobilier, les pneus et les D3E, par exemple) aux contraintes des hôpitaux, ouvrir la possibilité pour les syndicats intercommunaux de collecter les déchets des établissements, inciter à une valorisation matière plutôt qu’à une valorisation énergétique…
Les fournisseurs, sur lesquels le secteur public peut faire pression, doivent en outre être tenus responsables des matériaux utilisés et des filières d’élimination de leurs déchets.
Les médecins hygiénistes sont de plus en plus nombreux à adopter une démarche d’amélioration de tri des déchets d’activités de soins à risque infectieux (CH d’Hyères ou de Cholet, par exemple), permettant ainsi aux soignants de jeter dans les déchets ménagers les déchets d’activité de soins ne comportant pas de risque infectieux : le ministère et les ARS peuvent soutenir cette démarche en lançant une étude nationale sur le sujet et une éventuelle actualisation de la réglementation.
- Les énergies et les travaux : conduire d’urgence les rénovations thermiques
Certains travaux peuvent être financés par les certificats d’économies d’énergie (CEE) mais il est nécessaire pour cela que le secteur sanitaire dispose d’appels à projet et de fiches spécifiques. Le ministère de la Santé pourrait être une force de proposition pour le ministère de la Transition écologique, notamment sur l’enjeu des énergies renouvelables (études sur les opportunités liés à la géothermie, au solaire et à l’autoconsommation…).
- Les mobilités : penser la mobilité des usagers et des agents
Les plateformes locales de covoiturage et la desserte par les transports en commun sont deux leviers clés pour diminuer l’usage de la voiture. S’y ajoute également la mise à disposition d’abris à vélos sécurisés, qui pourra être utilement complétée par l’extension tant attendue du forfait mobilité durable à la fonction publique hospitalière.
Le développement du télétravail, proposé par la CCC (proposition SD-D1.4) induit également une baisse substantielle des déplacements domicile-travail, de même que le développement d’outils efficients de visioconférence et de téléconsultation.
L’enjeu de la mobilité recoupe également les nombreux trajets intra- ou inter-établissements. Les hôpitaux doivent se poser la question de l’intérêt, ou non, de verdir leur flotte de véhicule, y compris via des parcs de vélos et de trottinettes partagés. Ici encore, le niveau national et l’ADEME doivent être sources de financement (bornes de recharge, subventions…) mais aussi de conseils, de benchmark, d’études, sur l’opportunité et le champ, afin d’éviter que chaque établissement soit contraint de procéder à l’ensemble des analyses préalables.
- Le numérique : pour un développement raisonné
La richesse d’une politique de développement durable réside dans l’importance donnée à chaque action, sans délaisser ou négliger aucun détail : par exemple, des centaines de milliers de fiches de paie sont éditées chaque mois dans les hôpitaux, insérées dans des enveloppes, et pour la plupart affranchies.
Coffre-fort numérique, moteurs de recherche alternatifs (Qwant, Lilo…), messageries sécurisées de santé, suppression des documents inutiles, signature électronique, stockages numériques, sont autant de leviers d’action pour améliorer le bilan carbone et éviter des impressions, l’achat de consommables onéreux et des déchets.
Il faut toutefois rester conscient des risques liés au numérique : la CCC a d’ailleurs évoqué dans ses travaux la réduction de son impact environnemental (proposition PT12.1). Le nombre de mails reçus chaque jour est en constante augmentation, la déconnexion de plus en plus difficile, et les pièces jointes de plus en plus lourdes ; sans doute un challenge inter-établissement, portant sur la suppression des mails, permettrait-il de vider régulièrement les messageries et les volumes de stockage numériques.
- La formation : sensibiliser et informer les agents publics
Toute politique doit être portée au niveau institutionnel et il apparaît essentiel de transmettre les outils concrets relatifs au développement durable dans les formations diplômantes et certifiantes (diplômes d’université, formation continue ou à distance) aux professionnels de santé et aux agents formés à l’EHESP.
- La valorisation des politiques de développement durable
Dans le même mouvement que leur intégration dans les manuels de certification V2014 et V2020 (HAS), il serait opportun d’intégrer des critères liés au développement durable dans le financement à la qualité (IFAQ). Par exemple, les volumes de déchets produits, la part de DASRI, les consommations d’énergies, certaines actions spécifiques, le montant des frais d’affranchissement, les dépenses de papier, la part d’aliments de qualité, seraient autant de critères pouvant être utilisés dans les IFAQ voire intégrés dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) des établissements.
Préoccupation contemporaine liée à la recherche de sens qui accompagne les fonctions professionnelles, le développement durable et la transition écologique répondent aujourd’hui plus qu’hier, et bien moins que demain, à cet impératif.
Il renforce la dimension citoyenne du métier hospitalier : travailler dans un établissement éco-responsable sur ce point peut contribuer à accroître l’attractivité des fonctions et des établissements, notamment auprès des jeunes générations, fortement sensibilisées à ces thématiques.
Les planètes semblent enfin s’aligner pour que le secteur sanitaire prenne soin de la sienne. S’en remettre aux bonnes volontés et initiatives locales peut être hasardeux et source de déception, et seule une politique coordonnée avec une forte impulsion et un réel soutien du centre (ministère, ARS, ADEME) vers la périphérie, sous forme de lignes directrices par exemple, peuvent accompagner le changement et généraliser ces pratiques vertueuses (établissements, prestataires, fournisseurs…) dont la finalité, faut-il le rappeler, est essentiellement sociale et entre en résonance avec les missions historiques de l’hôpital, en visant à éviter le pire au genre humain.
Merci Rudy, pour cet argumentaire simple et pragmatique visant à faire avancer la politique DD dans nos ES.
Je suis complètement en phase avec ce que tu écris.
J’y ajouterais deux dimensions qui me semblent pertinentes dans le champ qui nous occupe :
– c’est la notion d’écolonomie, développée par Emmanuel Druon. Bien souvent écologie et économie se rejoignent ; nous devons le montrer/mesurer dans nos ES ! La récupération des métaux lourds dans les blocs, le meilleur tri DASRI/OM, la réduction du matériel à usage unique ou la limitation du gaspillage des médicaments en sont des exemples… mais il en existe bien d’autres.
– la dimension “santé et environnement”. Avec raison, tu écris “Une partie des activités des établissements de santé a une incidence néfaste sur l’environnement” et donc, je rajoute, sur la santé ! L’Hôpital se doit non seulement d’être exemplaire pour limiter son impact environnemental, mais doit aussi développer une vraie mission de prévention et d’information auprès des usagers quant à l’exposition aux différents polluants (notamment les perturbateurs endocriniens…) avec son lot de pathologies induites. Selon l’adage toujours d’actualité : prévenir plutôt que guérir !
Voilà… A bientôt pour en reparler!
Amicalement
Noëlle BERNARD
Praticien hospitalier et co-pilote du groupe Développement Durable au CHU de Bordeaux
Bonjour Rudy,
Bonjour Bordeaux,
La mesure de l’impact des établissements sur la santé-environnement doit rejoindre les priorités et le changement de pratiques interviendra quand cette mesure sera adossée à une contrainte (taxe, application des sanctions pénales prévues dans les textes).
Les priorités sont déjà inscrites dans la réglementation : prévention des déchets et préservation des ressources. Mais les contrôles sont inexistants ou inappropriés (les ARS ont l’exclusivité des inspections sur les établissements de santé et ne contrôlent pas le respect de la réglementation environnementale).
Pourtant, l’hôpital zéro impact n’est pas utopique. L’hôpital pionnier 100% énergie renouvelable de Carcassone, le CH Alpes Lémans maîtrisant ses effluents, le CH Hyères réduisant ses biocides et ses déchets, etc..il existe de multiples expériences à mutualiser.
Philippe Carenco, médecin hygiéniste au CH de Hyères, promoteur des filières de valorisation et de l’usage raisonné des biocides.