Entre le risque de pandémie H1N1 et la crise de la COVID19, un énorme point commun : le non-recours à la médecine générale. Celle-ci est souvent reléguée au second, voire au troisième plan de notre système de santé, ou considérée comme à peine utile pour soigner les petits bobos. Mais l’absence de recours à la médecine générale impacte totalement le fonctionnement de l’hôpital. Et parfois de façon méconnue et surprenante.
Matthieu Calafiore est médecin généraliste à Wattrelos, maître de conférences des universités et directeur du département de médecine générale de la faculté de médecine de Lille.
Pourquoi parler de la médecine générale alors qu’on veut surtout réformer l’hôpital ? Ça sent le conflit d’intérêt à plein nez, non ?
On pourrait croire qu’un généraliste qui fait des propositions de réforme prêcherait pour sa paroisse en voulant tirer à la médecine générale l’ensemble de la couverture de la réforme à mener. Il n’en est rien. Car s’il est un enseignement majeur lié à la crise de la COVID19, c’est bien l’absence de recours suffisant à la médecine générale pour gérer l’afflux de patients.
« Oui, mais bon, dans le cas de maladies importantes, c’est à l’hôpital que vont les malades, dont il faut mettre tous les moyens là-bas ».
Et bien… figurez-vous qu’il y a des solutions différentes, qui ont même été testées dans d’autres pays occidentaux et qui donnent des résultats probants. Alors mettons d’emblée fin au suspense : ces solutions ne coûtent pas moins cher. Mais pas plus non plus. Il ne s’agit pas de dépenser encore et toujours plus, mais de dépenser mieux. Et qui en seront les grands bénéficiaires ? Les patients !
Renforcer les soins premiers avec pour objectif d’éviter le plus grand nombre d’hospitalisations.
Le concept de soins premiers est traduit de l’anglais « Primary care ». Initialement, la traduction avait été faite en soins dits primaires, en opposition aux soins secondaires (hospitaliers) et tertiaires (des centres hospitalo-universitaires).
Mais la traduction par “premier” est plus pertinente, car elle place bien ces soins comme le premier maillon d’une chaîne. Les acteurs de ce maillon sont, bien entendu, les médecins généralistes, mais pas seulement. Car les soins premiers reposent sur une structure interconnectée entre tous les professionnels de l’ambulatoire, à savoir les médecins, les infirmières et infirmiers, les pharmaciens, les kinésithérapeutes… bref, tous les professionnels de santé qui peuvent être amenés à prendre en charge un patient en dehors d’une structure hospitalière. Et le défi majeur que ces soins premiers ont à relever, c’est de faire en sorte qu’un patient n’arrive à l’hôpital que lorsque tous les moyens dont disposent les soins premiers ne sont plus suffisants.
La littérature scientifique s’est penchée sur un concept particulier, celui des hospitalisations potentiellement évitables (HPE), ou « Ambulatory care sensitive conditions » ou ACSC dans la littérature anglo-saxonne. Le principe est de prendre en charge correctement en ville certaines pathologies pour aboutir au final à moins d’hospitalisations. « Ah oui, mais des rhumes et des gastros chez des patients en bonne santé par ailleurs ? » Non… Ce concept d’HPE concerne un nombre limité de pathologies dont la prise en charge efficiente en soins premiers permettrait théoriquement de diminuer les hospitalisations des patients fragiles.
Mais concrètement de quelles pathologies parle-t-on ?
Les pathologies évitables par vaccination : on retrouve alors le tétanos, la poliomyélite, la rougeole, la rubéole, la coqueluche…
Les pathologies aiguës pouvant être prises en charge en ville avant aggravation parmi lesquelles :
– Les gastro-entérites, les infections urinaires et pelviennes
– Les infections ORL, dentaires, pulmonaires
Également, les pathologies chroniques dont les manifestations aiguës sont évitables ou l’aggravation freinée en ambulatoire :
– Diabète
– BPCO
– Asthme
Et, enfin, les pathologies cardiaques chroniques : l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque congestive, l’hypertension artérielle
Améliorer la communication entre la ville et l’hôpital
Entendons-nous bien : il n’est nullement question de remettre en cause les confrères hospitaliers ou de se livrer à une guerre sur qui a le plus de compétences. C’est inutile et surtout contreproductif.
Quand les soins premiers sont efficients et efficaces (et qu’il y a donc un tissu sanitaire suffisamment fourni pour que le patient puisse avoir facilement accès à un médecin, une infirmière ou un infirmier, un pharmacien…) et surtout quand les professionnels de santé communiquent entre eux, le patient est mieux pris en charge, mieux soigné, peut plus facilement rester chez lui et plus longtemps. Car les études s’accumulent aussi pour dire qu’une première hospitalisation d’un patient fragile en engendrera une deuxième, puis une troisième… C’est un cercle vicieux dans lequel il faut éviter que les patients ne tombent.
La communication entre la ville et l’hôpital est une forme de serpent de mer. Toujours évoquée, jamais mise en place. Pour beaucoup, la communication doit être descendante de l’hôpital vers la ville. Alors que la communication doit avoir lieu dans les deux sens, sur un pied d’égalité. Même le Dossier Médical Partagé (DMP) censé permettre de retrouver des informations médicales avec le consentement du patient est une catastrophe, tant celui-ci a été pensé et conçu comme un empilement de dossiers et de sous-dossiers plutôt que comme un vrai dossier médical avec une interopérabilité entre tous les éditeurs de logiciels médicaux. Le critère d’évaluation de la réussite ayant été choisi sur le nombre de DMP créés et une incitation financière ayant été mise à la clé, vous entendrez prochainement parler de succès du DMP. Il faudra lire « succès du nombre de DMP créés » mais personne ou presque ne l’utilisera concrètement. Alors qu’il y a là des pistes d’économies possibles notamment par l’arrêt de réalisation de certains examens en doublons, uniquement parce que leurs résultats ne sont pas accessibles de façon rapide et fiable.
En finir avec le paiement à l’acte quasi exclusif
« Le temps, c’est de l’argent »… À l’heure actuelle, avec le paiement à l’acte, quasi exclusif en médecine de ville, plus un médecin travaille et voit de patients, plus sa rémunération augmente. Cela semble logique de prime abord. Mais cela ne l’est absolument pas. Il n’est nullement question de pertinence des soins, d’éducation à la santé des patients ou de temps passé pour une consultation donnée. En d’autres termes, plus un médecin généraliste travaille, plus il est payé. Là où il serait souhaitable de dire « mieux un médecin généraliste travaille, plus il est payé ». Et bien entendu, il faut bien se dire que plus le temps passé pour une consultation sera court, plus le nombre d’actes réalisables en une journée pourra être important.
Et travailler mieux, c’est assurer une meilleure coordination des soins, c’est pouvoir prendre le temps de mettre en place les soins les plus appropriés au patients en discutant sur un pied d’égalité avec les autres professionnels de santé. Placer, selon la formule consacrée, le patient au cœur de sa santé, et les soignants au service de celle-ci, avec le médecin généraliste en chef d’orchestre (pour éviter de parler de pivot, même si les pouvoirs publics adorent ce terme maintenant qu’ils l’ont vidé de toute signification).
Mais cette coordination, ces « soins » ne sont pas des actes. Ils ne sont pas rémunérés. Tout praticien qui passe ce temps le fait au détriment du nombre d’actes qu’il pourra réaliser dans une journée et donc à terme au détriment de sa rémunération.
Entendons-nous bien, le niveau de vie des médecins n’est pas à plaindre. Mais n’oubliez pas que le plus souvent, le médecin emploie un secrétariat, du personnel pour l’entretien de ses locaux… Si vous lui demandez de passer plus de temps pour des tâches non rémunérées et qui feront diminuer sa rémunération et mettre en péril le modèle économique de son cabinet, il refusera purement et simplement d’y adhérer.
Il y a bien eu récemment une tentative d’instauration de paiement au forfait des médecins, mais le volume reste insuffisant. Il y a également eu des critères de Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP), mais certains d’entre eux sont tellement absurdes que la rémunération associée ne dépend pas vraiment de la qualité des soins dispensés, ni de leur pertinence.
Les professionnels de santé devraient pouvoir avoir le choix de leur mode de rémunération majoritaire, et des instances indépendantes où leurs représentants seraient forces de proposition, devraient en décider des montants.
Soigner autrement en oubliant le dogme du médecin indispensable en tout temps et en tous lieux
Les médecins généralistes ont hérité d’une vision datant d’une époque pas si lointaine où l’offre de soins de ville était importante mais la demande moindre. Il leur fallait donc soit fidéliser leurs patients (au risque parfois de certaines largesses de prescriptions) soit se rendre consciemment ou non indispensables à la santé des patients. C’est ainsi qu’on a pu voir fleurir des prises en charge de rhinopharyngites donnant lieu à la prescription de 5 traitements différents sur l’ordonnance permettant de ne guérir ni plus vite, ni plus efficacement du virus contracté. Mais le patient aura intégré petit à petit qu’il y a nécessité d’obtenir ces traitements car on lui parle peu de l’efficacité de ceux-ci.
Alors qu’il pourrait être ô combien plus judicieux, par exemple, d’expliquer à des parents les signes de gravité à surveiller en cas d’apparition de fièvre chez leur enfant et qui doit les amener à consulter, en opposition à ceux qui leurs permettent d’attendre et de laisser la nature faire son travail. Certains confrères le font déjà, et merveilleusement bien.
Mais faire cette éducation à la santé nécessite du temps supplémentaire, et donc des consultations plus longues (et je vous renvoie donc au paragraphe sur le paiement à l’acte qui ne valorise en rien ceux qui prennent ce temps indispensable).
Certains patients ont pu se rendre compte au cours de l’épidémie récente, que dans le cas des pathologies bénignes, seul le temps était indispensable à la guérison. Cette disposition entraînerait un moindre recours à des traitements non nécessaires, donc des effets indésirables potentiellement moindres, et des dépenses de santé qui diminueraient sur ce poste précis et pourraient être redéployées différemment.
Au final, réformer la ville, faire mieux ce travail de soins premiers, permettra de recourir aux soins hospitaliers uniquement quand ceux-ci seront nécessaires, et dans le cadre d’un écoute et d’une confiance mutuelle et réciproque entre médecine de ville et médecine hospitalière.
Et si on payait un forfait par patient diabétique à leur médecin traitant ? En plus des consultations.
Sinon j’aimerais bien une meilleure prise en charge et communication sur les pathologies osteoarticulaires. Il y a beaucoup trop d’intervenants… Podologues, med ge, médecin du sport, radiologue, chirurgien, etc.
Bien sûr, qui pourrait ne pas souscrire à une telle déclaration d’intention? Simplement celle-ci pèche par occultation d’un paramètre majeur: le déficit chronique de médecins généralistes sur de larges portions du territoire, au point que dans certaines d’entre elles (La Vendée par exemple) soumises à un afflux régulier de nouveaux arrivants, ces derniers s’entendent répondre systématiquement lors de leur quête d’un médecin traitant que “le médecin ne prend pas de nouveaux patients”.
Ainsi des milliers de personnes sont sans médecin référent depuis des années. Tous les plans de réorganisation sont bienvenus, à condition toutefois de les asseoir sur un diagnostic fondé.
Je ne peux que souscrire à l’écrit de cet enseignant de la médecine des soins premiers qu’est la médecine générale . J’ai été moi même, pendant 20 ans enseignant à l’UFR de Rouen et bénéficié de nombreuses formation du CNGE .
Les fonctions de coordination du médecin, celles qui relèvent d’une prise en charge globale, n’ont aucune reconnaissance ni valorisation . La rémunération de médecins est arrimée à une nomenclature d’acte qui favorise leur multiplication ; la célérité de l’exercice qui en est la conséquence est peu propice à la qualité des prises en charge et suivis .
Le forfait « médecin traitant », peut être considéré comme une reconnaissance de cette fonction, mais son montant dérisoire en montre le peu de considération. Lors de la convention de 1997 , qui avait institué le contrat médecin référent, le montant de ce forfait avait été conséquent , à la hauteur de ce qu’il est actuellement pour les patients en ALD .
Ce montant constitua un levier puissant pour que les professionnels médicaux soignent la qualité de leur prise en charge dans le sens souligné. A l’époque la profession, très divisée sous l’influence des politiques et des lobbys des spécialités d’organe n’avait pas cru bon de s’y investir. Actuellement le déficit de reconnaissance des professions dites intellectuelles reste patent en comparaison de celles à forte composante technique.
Le levier indispensable qu’est la prévention, abordée rapidement en fin d’article, est également à prendre en compte .
Une meilleure coordination/communication entre hôpital et soignant libéraux à ce titre est à mettre en place dans tous les domaines: pédiatrie, gériatrie, premier secours…
Le médecin traitant a tout à fait son rôle à jouer dans cette démarche.